C’est devenu la mode ou encore une solution rapide et conviviale pour bon nombre de Togolais qui cherchent à manger rapidement et parfois dépenser moins que cuisiner à la maison : consommer dans les Fast-Food. Appelé ‘’restauration rapide’’, le secteur présente des avantages et des inconvénients. Une étude menée par l’Université de Lomé dans 18 Fast-Food du Grand Lomé notamment à Agoè-Nyivé et dans la capitale, met à nu le secteur et expose des risques alimentaires.
Amivi, secrétaire de direction, visite les Fast-food presque chaque week-end et parfois à midi en semaine. « Mon petit ami m’amène chaque week-end. Des fois à midi, si j’ai un tas de travail que je dois poursuivre au boulot, je n’ai pas d’autres alternatives que de commander en ligne un repas dans un Fast-Food pour être livré sur place. Et c’est avantageux en termes de rapidité », confie la secrétaire d’une vingtaine d’années d’âge. Tout comme Amivi, Anita, comptable dans une société de la place, est une férue de la restauration rapide ; elle s’y rend au moins deux fois par semaine et fait souvent le choix d’emporter le repas servi. Mais depuis la conférence d’actualité de l’Université de Lomé le 29 juillet 2022, elle craint pour elle-même et surtout pour ses enfants qui sautent de joie quand ils découvrent au retour dans son sac de service un hamburger, un sandwich, des frites, un hot-dog, une pizza, des frites-saucisses, un kebab…
Des résidus de pesticides dans nos plats
Les risques alimentaires décelés par les chercheurs de l’université de Lomé sont d’ordres métabolique, microbien et chimique. Il est constaté une proposition exagérée de produits carnés, viandes, des matières grasses et des féculents. « Les fruits et légumes sont limités. Généralement, les repas servis sont accompagnés de boissons alors que nous faisons très peu de sport maintenant. Cette façon de s’alimenter crée des problèmes d’ordre métabolique, le diabète, l’hypertension… », a indiqué le professeur Yaovi Blaise Ameyapoh, microbiologiste, directeur de l’Ecole Supérieure des Techniques Biologiques et Alimentaires (ESTBA) à l’Université de Lomé. En effet, plusieurs études ont montré que la consommation des aliments riches en acides gras saturés et en sucres est un facteur de risque d’obésité, de troubles métaboliques et de maladies cardiovasculaires.
Par ailleurs, il est observé un manquement grave aux règles d’hygiène dans la façon dont les aliments sont préparés dans les Fast-Food et également dans les soins qui les entourent. « Ce manquement aux règles d’hygiène va déboucher sur des toxiinfections alimentaires. En dehors des microbes, nous avons constaté qu’il y a des produits chimiques, des résidus de pesticides qui persistent et sont dans ces aliments qui sont servis surtout les légumes », a ajouté le microbiologiste. A noter que ces résidus de pesticides, indiquent les chercheurs, « peuvent s’accumuler dans l’organisme et causer des cancers ».
En effet, l’étude de l’Université de Lomé visait à contribuer à la gestion des risques liés à la prolifération des Fast-Food à Lomé. Il s’agit de façon spécifique, de montrer les facteurs de risques des maladies métaboliques, d’apprécier la qualité des aliments consommés, d’évaluer les risques d’intoxication alimentaire et de proposer des stratégies de maîtrise des risques. A noter qu’à Lomé, 65 Fast-Food reconnus ont été dénombrés et sont en activité avec un minimum de 5 pour chaque commune.
Pour arriver à ces résultats, 54 échantillons de plats ont été prélevés dans 18 Fast-food dans les communes du Grand Lomé à raison de trois plats par Fast-food pour des analyses microbiologiques. Les aliments concernés sont : Frite-poisson, riz-poulet, pâte alimentaire (spaghetti), shawarma, pizza et hamburger. Les germes recherchés sont ceux retenus par les critères de l’UE. Quant aux méthodes utilisées, il s’agit de celles d’analyse de routine de l’Association Française de Normalisation (AFNOR).
D’après, les résultats, par rapport aux germes contaminants venant de l’environnement ou de la mauvaise pratique d’hygiène, les Hamburgers sont en avance avec 74, 65% de non-conformité. Ils sont suivis des Frites-poisson, des Riz-poulet, des Pâtes alimentaires, des Shawarma et des Pizzas respectivement de 68,86 % ; 64,11% ; 62, 30%, 56,12% et 46,62%. En ce qui concerne les germes susceptibles d’occasionner directement une maladie, les Pizzas et les Pâtes alimentaires sont à 12, 6% de non-conformité ; par contre les hamburgers sont encore en tête avec 33, 33% de non-conformité suivis des Frites-poisson (20%), des riz-poulet (16,66%) et du shawarma (16,66%). « Les germes de l’environnement et les germes indicateurs de manquement aux règles d’hygiène sont les plus impliqués dans la contamination des aliments vendus dans les Fast-food de Lomé. Cette alimentation comporterait des risques de toxiinfection pour les consommateurs même en absence de salmonelles. Les études menées dans notre laboratoire ont montré que les produits maraîchers utilisés dans les Fast-food, contiennent des doses de résidus des pesticides dont certaines teneurs dépassent les limites recommandées », a ajouté le directeur de l’ESTBA.
Proximité avec les écoles
L’université de Lomé a axé son étude sur la proximité des Fast-food avec les écoles, compte tenu de la vulnérabilité de cette couche de la population. Elle a concerné le Grand Lomé et a couvert la période de mars à juillet 2022 par la méthode de géolocalisation.
Distances entre Fast-food et établissements scolaires dans certaines communes du Grand Lomé. Les chiffres du tableau indiquent le nombre de fois la distance remarquée.
Communes | Distances en mètres (d) | ||||
‹100 | 100‹ d ‹250 | 250‹ d ‹500 | 500‹ d ‹750 | 750‹ d ‹1000 | |
Golfe 1 |
4 |
5 | 2 | 3 | 3 |
Golfe 2 | 3 | 4 | 1 | 2 | 2 |
Golfe 3 | 4 | 2 | 3 | 2 | 2 |
Golfe 4 | 5 | 5 | 2 | 3 | 3 |
Golfe 5 | 5 | 1 | 1 | 1 | 0 |
Golfe 6 | 4 | 1 | 1 | 2 | 1 |
Golfe 7 | 1 | 3 | 1 | 1 | 3 |
Agoè-Nyivé 1 | 6 | 1 | 1 | 0 | 2 |
Agoè-Nyivé 2 | 1 | 3 | 3 | 1 | 1 |
Agoè-Nyivé 3 | 2 | 3 | 0 | 1 | 1 |
Agoè-Nyivé 4 | 3 | 3 | 1 | 2 | 2 |
Agoè-Nyivé 5 | 1 | 1 | 2 | 2 | 2 |
Agoè-Nyivé 6 | 2 | 1 | 2 | 3 | 3 |
Ces résultats, en effet, montrent qu’au moins 50% des élèves sont à moins de 250 mètres des Fast-food par rapport à leurs écoles. Ainsi, ils peuvent avoir accès aux fast-foods même pendant les pauses de 10 minutes, donc à la récréation, à midi et à la fin des classes les après-midis sans oublier que cette couche constitue le groupe le plus vulnérable par rapport aux Maladies non transmissibles (MNT) liées à la consommation d’aliments dans les Fast-food. Selon le professeur Yaovi Blaise Ameyapoh, même si un enfant ne mange pas un hamburger à la maison, compte tenu de la simple proximité des Fast-food avec son établissement scolaire, il sera tenté et le risque existe. « Il cherchera l’opportunité pour chercher cet aliment à manger. Au niveau des écoles si d’aventure il y a quelques élèves qui peuvent se procurer les aliments venant des Fast-foods, les autres au moins par solidarité ou bien par connaissance des choses peuvent s’en approprier ; cela devient dangereux pour nous, la proximité des Fast-food. Elle n’inclut pas nécessairement la consommation mais le risque existe. S’il y a seulement 10% des élèves qui arrivent à en acheter, c’est déjà un problème pour nous », a argumenté le directeur de l’ESTBA.
Par ailleurs, d’après le professeur Mofou Belo, chef division de la surveillance des maladies non transmissibles au ministère de la santé, en 2010, une enquête nationale sur les maladies non transmissibles avait montré que 6 à 10% de la population togolaise étaient obèses et 20 à 30 % avaient une hypertension artérielle. En 2021, l’enquête a été rééditée avec comme résultat, une nette progression des données.
Urgence de réglementer le secteur
Selon Léon Agboka, responsable santé environnement à l’Association togolaise des consommateurs (ATC), ce secteur détenu majoritairement par des Libanais et certains nationaux doit être sérieusement encadré. Il propose que les services techniques de l’Etat et les ministères concernés prennent leurs responsabilités et jouent leur rôle surtout en matière de contrôle. « Il faudrait vraiment qu’il y ait un contrôle sur le marché afin que la population puisse être protégée », a-t-il suggéré tout en saluant les chercheurs de l’Université de Lomé qui ont accouché des résultats qui pourront « permettre à l’Etat d’orienter ses systèmes politiques et surtout de revoir les grandes orientations en matière de politique alimentaire au Togo ».
Du côté de l’UL, on propose de réglementer l’accord qui est donné pour l’installation des Fast-foods, les mets servis et la façon dont ils sont servis à ces endroits : « Il faut aller à une accréditation de ces Fast-Foods pour qu’on puisse choisir les meilleurs. C’est ce qui nous a préoccupés à penser aux élèves qui seront perturbés au niveau de leurs glandes endocriniennes et qui seront obèses demain », a justifié le professeur Yaovi Blaise Ameyapoh.
Par ailleurs, au niveau de l’ATC, on propose une sensibilisation plus poussée de la population. « Dans les Fast-foods déjà, ce sont des aliments ultra-transformés. Tout est bourré avec du beurre, de la mayonnaise… C’est un mode de vie très dangereux et surtout aussi avec des boissons gazeuses. C’est vraiment imprudent de s’adonner à ce genre de mode de vie qui malheureusement est en train de prendre de l’ampleur chez nous au Togo. Il faut que les gens connaissent ce qu’ils mangent quand ils sont à table, qu’ils sachent que ce qu’ils mangent peut leur créer tel problème lorsqu’ils exagèrent », propose Léon Agboka.
Comme solution pour être en bonne santé, certains universitaires encouragent la cuisine de maison et la consommation des mets locaux avec le choix de consommer bio.
Ecrit par Atha ASSAN