Le Togo pleure depuis le dimanche 04 août un de ses illustres fils. Mgr Yves-Nicodème Anani Barrigah-Bénissan, Archevêque métropolitain de Lomé a rendu l’âme dans la capitale togolaise des suites d’une maladie. Le prélat était connu et apprécié des Togolais notamment pour son rôle dans la promotion d’un dialogue et d’une réconciliation véritables entre les filles et les fils de ce pays.
La nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Et pour cause, jamais dans l’histoire de l’Eglise catholique au Togo, un Archevêque en poste à Lomé n’a abandonné sa crosse en plein mandat. Mgr Yves-Nicodème Anani Barrigah-Bénissan est mort. L’annonce de la Conférence des évêques du Togo a surpris les fidèles catholiques et toute la nation togolaise. Car aucune alerte officielle n’avait été jusqu’ici été donnée sur la santé du prélat. « La Conférence des Évêques du Togo vient vous annoncer la nouvelle humainement triste et surprenante du rappel à Dieu de son serviteur, S.E. Mgr Yves-Nicodème Anani BARRIGAH-BENISSAN, Archevêque Métropolitain de Lomé, ce dimanche 04 août 2024 à l’hôpital DOGTA-LAFIE à Lomé. Dans l’attente des dispositions à vous communiquer, nous vous exhortons à prier pour le repos de son âme », a sobrement indiqué le communiqué signé Mgr Benoît Alowonou, évêque de Kpalimé en début d’après-midi du dimanche 04 août.
Sacerdoce précoce
Très peu de fidèles catholiques et de Togolais connaissaient ce brillant homme de Dieu avant sa nomination comme évêque d’Atakpamé en janvier 2008. Et pour cause, il est resté longtemps hors du Togo, d’abord pour les études et ensuite dans des fonctions dans la diplomatie vaticane.
Né le 19 mai 1963 à Ouagadougou, au Burkina Faso, il a été baptisé le 26 mai 1963. En 1966, sa famille regagna le Togo où le jeune Nicodème entreprit ses études primaires de 1967 à 1974, à l’école catholique de Nyékonakpoé, dans le quatrième arrondissement de la ville de Lomé. En 1974, il entra au Petit Séminaire Saint-Pie X d’Agoènyivé, et y fut formé jusqu’en 1981. En 1981, il se rendit à Ouidah, au Bénin où il poursuivit ses études en philosophie et en théologie au Grand Séminaire Saint-Gall jusqu’en 1987. Il fut ordonné prêtre le 8 août 1987 par Mgr Robert Dosseh Anyron dans la Cathédrale Sainte Trinité d’Atakpamé, grâce à une « dispense » spéciale du Vatican en raison de son âge à l’époque (24 ans). « Pour son ordination, Mgr Dosseh (Archevêque de Lomé de 1962 à 1992) a dû insister auprès de la hiérarchie vaticane à une époque où il n’était pas permis d’ordonner des personnes aussi jeunes », indique un de ses aînés dans le sacerdoce.
Mgr Dosseh qui sait alors qu’il tient une pépite, lui fait passer une petite année dans la pastorale comme vicaire paroissial à la cathédrale de Lomé et l’envoie d’abord à Abidjan en Côte d’Ivoire, afin de continuer ses études en théologie dogmatique à l’Institut Catholique d’Abidjan ; et puis, pour Rome en Italie, pour des études d’exégèse à l’Institut Pontifical Biblique, de 1990 à 1993. De 1993 à 1997, il reste à Rome pour des études de Droit Canonique et de diplomatie, respectivement à l’Université Urbanienne et à l’Académie pontificale.
Le diplomate
Entre 2000 et 2008, Mgr Barrigah-Bénissan travaille tantôt comme secrétaire puis comme conseiller de Nonciature au Rwanda, au Salvador, en Côte d’Ivoire et en Israël. Lors de ses séjours ponctuels à Lomé, Mgr Kpodzro qui entre temps a succédé à Mgr Dosseh à la tête de l’Archidiocèse de Lomé, le présente volontiers comme l’un de ses potentiels successeurs.
« En réalité, tout le monde savait que la trajectoire du père Barrigah-Bénissan devait inéluctablement le conduire à l’épiscopat, soit comme nonce Apostolique (Ambassadeur du Saint-Siège) ou alors à la tête d’une église locale », indique un fin connaisseur de l’histoire de l’église catholique togolaise.
Nommé évêque d’Atakpamé le 9 janvier 2008 par le Pape Benoit XVI, il est ordonné le 9 mars de la même année, et devient ainsi le 4ème évêque de ce diocèse qui sortait de plusieurs années de crise opposant certains prêtres à leur pasteur d’alors Mgr Julien Kouto. « Beaucoup dans l’entourage de Mgr Barrigah-Bénissan ont ressenti cette nomination comme un coup d’arrêt à son ascension dans la diplomatie vaticane, lui qui était à un pas de devenir Nonce apostolique. Mais il semble qu’il ait accueilli cette nomination avec beaucoup d’humilité même si lui-même a reconnu dans une interview avoir eu beaucoup de doutes», poursuit la source indiquée plus haut.
La mission à Atakpamé exigeait d’avoir des talents de diplomate pour réconcilier les cœurs meurtris et remettre spirituellement au travail une Eglise locale très divisée. C’est pendant son apostolat à Atakpamé qu’il a été désigné en 2009 Président de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR), institution créée pour faire la lumière sur les actes de violence politique au Togo entre 1958 et 2005. « L’un des grands acquis de la CVJR est d’être parvenue à établir une liste nominative concernant plus de 14 000 victimes avec des données de localisation précises. Cette liste n’étant pas exhaustive – car toutes les victimes n’ont pas saisi la CVJR – nous avons néanmoins recommandé qu’au moment des indemnisations, toute nouvelle victime identifiée puisse en bénéficier elle aussi », indiquait-il à nos confrère de Jeune Afrique en 2012.
La mission était difficile, vu le contexte togolais, mais le Prélat ainsi que les membres de la Commission ont su gérer avec tact les subtilités pour aboutir à un travail qui se poursuit aujourd’hui encore avec les indemnisations des victimes identifiées.
Primat de l’Eglise du Togo
Après avoir passé onze années à Atakpamé, Mgr Barrigah-Bénissan est nommé le 23 novembre 2019 Archevêque de Lomé et installé le 11 janvier 2020, succédant à Mgr Denis Amuzu Dzakpah, admis à la retraite. Le diocèse le plus important du Togo compte plus de 400 prêtres et plus de 50 paroisses avec de nombreuses stations secondaires.
Le prélat s’est donc donné pour mission de mettre en place une gouvernance décentralisée avec des responsables de doyennés (secteurs) et une administration centrale (Curie) rajeunie et efficace. A côté de sa mission de pasteur de l’Eglise de Lomé, Mgr Barrigah-Bénissan a également dû gérer la crise née de l’immixtion de l’un de ses prédécesseurs sur le terrain politique. Mgr Kpodzro (décédé en janvier 2024) avait alors décidé de devenir le principal parrain de l’un des candidats à la présidentielle de février 2020. La gestion de ce dossier sensible par le regretté Mgr Barrigah-Bénissan a laissé des traces.
Certains lui reprochant une attitude trop complaisante avec son aîné et d’autres regrettant un certain manque de soutien à Mgr Kpodzro. «Que pouvait-il faire ? Dénoncer publiquement les agissements contraires aux valeurs de l’Eglise catholique d’un évêque-politicien ou tenter de régler par des moyens discrets la situation difficile d’un vieillard soumis aux difficultés de l’âge avancé ? », s’interroge un cadre catholique.
Nos sources indiquent néanmoins que Mgr Barrigah-Bénissan, malgré les attaques publiques reçues de la part de son aîné, a tout fait pour mettre fin à son exil volontaire et le ramener à la raison. Mais le caractère du parrain de la DMK est connu de tous…
Crépuscule
Mgr Barrigah-Bénissan n’était pas un homme qui recherchait le feu des projecteurs. Mais dans les milieux catholiques, on misait sur lui pour décrocher la première barrette cardinalice pour l’Eglise catholique au Togo.
Certains pensaient même qu’au bout de quelques années à la tête de l’archidiocèse de Lomé, il serait nommé dans le gouvernement de l’Eglise, à la tête de l’un des organes de la Curie romaine. La retraite officielle des évêques étant fixée à 75 ans, il avait un certain nombre d’années devant lui en tout cas.
Ces derniers mois, le Prélat s’est régulièrement absenté du Togo pour, selon nos sources, recevoir des traitements appropriés à un mal qui le rongeait. Certains fidèles ont été surpris de le voir pâle, tête rasée l’année dernière. Lors de la célébration de la messe chrismale le 05 avril dernier, il avait dû laisser l’évêque d’Atakpamé célébrer à sa place, fatigué par la maladie.
Sa dernière messe remonte au dimanche 19 mai à la Cathédrale, toujours affaibli mais heureux de célébrer autour des fidèles de sa paroisse épiscopale, son 61e et dernier anniversaire sur terre. Les fidèles chrétiens le verront pour une dernière fois fin mai, assistant (sans pouvoir présider) aux obsèques du Père Mathieu Adzonyon.
Depuis, Mgr Barrigah-Bénissan a disparu des radars pour des soins loin de son Togo natal. Rentré au Togo il y a quelques jours, il a rendu l’âme à son créateur muni selon nos informations des sacrements de l’Eglise. « Sa maladie était un secret bien gardé dans le haut-clergé mais il a été soutenu dans la prière par toute la communauté chrétienne », témoigne un fidèle catholique.
Depuis dimanche, les vidéos de ses chansons et de ses homélies inondent la toile, preuve que l’homme était aimé et respecté de tous. Lui-même a demandé dans l’une de ses vidéos, de toujours s’abandonner à la volonté de Dieu.
Aujourd’hui cette volonté a voulu qu’il quitte le monde de vivants, laissant sa famille, ses fidèles et tout le Togo dans un grand désarroi. Le Togo a perdu une icône, un chantre du vivre-ensemble, un apôtre de la réconciliation. Qu’il repose en paix !