Trading : Illégalité et illusions

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Siège GTC

C’est la nouvelle attraction de bon nombre de Togolais, des jeunes surtout, mais aussi des personnes d’un certain âge,  issus de toutes les catégories socioprofessionnelles : le trading. Ce mot anglais qui désigne les opérations de vente et d’achats effectuées sur les marchés financiers  est à la mode parce que promettant des rendements pouvant aller jusqu’à 300% des capitaux investis. De fait, l’on assiste à une multiplication des sociétés de trading, la montée au pinacle de certaines figures considérées comme des icônes de ce monde et la ruée de milliers de nos compatriotes vers ce qu’ils estiment être de vraies opportunités de gagner de l’argent. Sans tenir compte de l’illégalité dans laquelle exercent ces entreprises et au mépris de la désillusion déjà vécue aussi bien au Togo qu’ailleurs par des souscripteurs.

Le trading ou opération de marchés désigne les opérations d’achats et de ventes effectuées sur les marchés financiers.  Réalisées  par des personnes appelés traders, elles sont exécutées jusqu’alors essentiellement  depuis la salle des marchés d’une institution financière ou boursière. Aujourd’hui, elles sont faites pour beaucoup sur internet. Cette activité de spéculation sur des produits financiers tels que les actions, les options financières, les contrats à terme ou encore les devises etc, promet une profitabilité à court terme en fonction des fluctuations du marché.

Jackpot :

Global Trade Corporation, Africa Trading, Petronpay, Chy Mall ou encore CACESPIC-FI…. C’est le nom de quelques-unes des dizaines de sociétés ayant pignon sur rue, affichant effectuer des activités de trading. Leur offre : vous aider à placer votre épargne en misant sur des produits financiers pour des rendements garantis, pouvant aller jusqu’à 300% par an selon le trader. Les packages proposés démarrent en moyenne à partir de 30.000 FCF.  Officiellement, les compagnies allèguent investir les fonds reçus en dépôt dans des opérations hyper rentables ou sur  des plateformes de trading à l’international qui garantirait des rémunérations exceptionnelles.

Chez Chy Mall par exemple, le paiement des plus-values se fait en ligne via  un compte numérique créé pour le souscripteur à l’adhésion, mensuellement, trimestriellement ou annuellement à des taux progressifs et au terme de l’option choisie par celui-ci. Global Trade Corporation propose quant à lui une rémunération selon  une programmation et d’après les termes et modalités  définis lors  de la souscription.

De fait, le trading a le vent en poupe et attire de plus en plus de Togolais.  Selon les récents chiffres communiqués par Global Trade et CACESPIC-IF, les deux sociétés recenseraient  respectivement plus de 15000 et 7000 adhérents en à peine  une année d’activité. Selon le site SetAffiliateBusiness.com, le plus gros trafic de PetronPay, soit près de 30%,  provient du Togo.

Pour la plupart de ces souscripteurs, l’appât du gain rapide est bien évidemment la principale motivation.   « Faire un dépôt d’un million (1.000.000) FCFA et gagner le triple au bout d’une année sans exercer aucune activité,  autrement dit gratuitement, c’est la meilleure chose qui puisse arriver» soutient M.Kekeh, agent de la Fonction publique.Quant à M. Akakpo, conducteur de taxi, faire ce   placement est une solution à sa précarité. Le jeune étudiant Olivier Ayéko  veut lui gagner rapidement de l’argent afin de poursuivre ses études à l’étranger.

Illégales :

Si le trading n’est pas en soi une activité interdite, les sociétés qui en font, profitent du vide réglementaire relatif pour s’installer. En effet, au Togo comme dans l’espace UEMOA (Union économique monétaire ouest-africain), aucun cadre juridique ne régit  spécifiquement le trading. Pour autant, toute activité financière dans cet espace est régulée par le Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF), l’autorité de régulation des Marchés Financiers de l’UEMOA.

Celui-ci a dressé la liste des acteurs du marché financier de la sous-région, parmi lesquels ne figurent pas les opérateurs de trading.  «Les acteurs du marché financier régional sont : a) les structures de marché : la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) et le Dépositaire Central/Banque de Règlement ; b) les intervenants commerciaux : les Sociétés de Gestion et d’Intermédiation (SGI), les Sociétés de Gestion de Patrimoine (SGP), les Conseils en Investissements Boursiers, les Apporteurs d’Affaires et les Démarcheurs. Ils sont agréés par le Conseil Régional », précise l’article 7 du CREPMF.

« Le trading et toutes autres activités liées à l’épargne publique non reconnues  par le CREPMF sont exercés illégalement. L’activité en soi peut être légal mais n’est pas acceptée dans la sous-région », explique  Kossi Komla, Chef Session monnaie et Organisation, au ministère de l’Economie et des Finances.  « Interdiction est faite à toutes structures financières d’épargne publique notamment les banques et microfinances reconnues par le Conseil,  de spéculer sur le marché financier. A fortiori, celles  qui ne sont ni déclarées ni autorisées ne peuvent être admises à le faire », ajoute-t-il.

De fait, les structures reconnues par le Conseil des ministres de l’Economie de l’UEMOA, conformément aux législations en vigueur sont soumises à l’obtention d’un agrément avant l’installation. « Il est fait interdiction à toute entreprise ou personne autre qu’une structure ou un intervenant agréé par le Conseil Régional d’utiliser une dénomination, une raison sociale, une publicité ou d’une façon générale des expressions faisant croire qu’elle est agréée en tant que structure de gestion du marché ou intervenant commercial. Il est interdit à toute structure ou à tout intervenant commercial agréé par le Conseil Régional de laisser entendre qu’il appartient à une catégorie autre que celle au titre de laquelle il a obtenu son agrément ou de créer une confusion sur ce point », stipulent les articles 8 et 9.

« Les systèmes financiers décentralisés sont tenus, sous peine des sanctions prévues à l’article 74, de faire figurer, dans leurs enseignes, panneaux publicitaires ou autres, leur dénomination sociale suivie des références : du texte qui les régit ;  de l’agrément ;  de l’enregistrement au registre des systèmes financiers décentralisés, dans la catégorie où ils ont été autorisés » précise l’article 12 de règlementation spécifique aux institutions de microfinance.

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« C’est la mission régalienne de l’Etat de protéger l’épargne publique raison pour laquelle il a toujours un œil regardant dans toute les activités financières exercées dans le pays » justifie –t-on au ministère de l’Economie et des Finances. Aussi, « au regard des impératifs de protection de l’épargne investie en valeurs mobilières cotées, d’une compétition honnête et équitable entre les intermédiaires boursiers, il échoit au Conseil Régional d’agréer en qualité de Bourse Régionale des Valeurs Mobilières, une société de droit privé constituée en société anonyme. Sur le même fondement, il revient au Conseil Régional d’agréer une société de droit privé constituée en société anonyme à l’effet d’assumer les fonctions de Dépositaire Central/Banque de Règlement » précise d’ailleurs l’article 12 du CREPMF.

Le trading repose essentiellement sur les changes de devise, ce qui constitue un haut risque. « Nous n’avons pas assez de devises dans la sous-région. Alors que cette activité exige le transfert des devises vers des marchés hors de notre espace. C’est justement pour protéger le peu de devises dont nous disposons que cette activité n’est pas acceptée dans notre sous-région », rapporte une fonctionnaire du Ministère des finances. «  Remplir les formalités de création d’entreprises au Centre de Formalités des Entreprises  (CFE) n’est pas suffisant pour opérer sur le marché financier » , résume-t-elle.

Châteaux en Espagne :

Les produits développés pour attirer les particuliers présentent un risque financier. Celui-ci est d’une part lié à la volatilité du marché et d’autre part  à une utilisation excessive de l’effet de levier (la capacité de multiplier une exposition sur un marché financier en n’immobilisant qu’une partie de son capital).Mais cette réalité est loin d’être exposée aux souscripteurs à qui ne sont vendues que la perspective ainsi que la garantie d’énormes gains. Or, ceux qui déposent leur épargne peuvent la perdre en un claquement de doigts et se retrouver sans les sous.

« Promettre un rendement  de 300% est une promesse fallacieuse, irréaliste. Il ne sert qu’à attirer les potentiels déposants »  avertit Kossi Komlan. Pour ce banquier, aucun placement ne saurait garantir, systématiquement, automatiquement et sur une période relativement courte comme le promettent ces traders, un rendement aussi élevé. «  C’est la pure arnaque. La bulle tôt ou tard, finira par éclater » soutient-il. De fait, beaucoup évoquent la Pyramide de Ponzi comme mode de fonctionnement de ces opérateurs. La Pyramide de Ponzi est un  montage financier frauduleux, qui a emprunté son nom à Charles Ponzi, grand escroc d’origine italienne qui a migré aux Etats-Unis au début des années 1900.

Ponzi est devenu tristement célèbre en mettant en place à grande échelle ce type d’arnaque dans les années 1920 à Boston (USA), faisant des milliers de victimes. Dans le système, le   promoteur ou initiateur, est le sommet de la pyramide. Il  demande  à  ses ‘’investisseurs’’ de placer leur argent dans son projet ou sa société, en promettant un rendement  très élevé, et très rapide, avec des paiements mensuels ou quotidiens garantis. Il demande ensuite à chaque personne déjà convaincue, de parler de l’investissement à d’autres personnes pour les convaincre d’investir à leur tour.

Les groupes successifs d’investisseurs représentent la pyramide, de plus en plus large vers le bas. Dans les faits, aucun investissement générateur de revenus n’est effectué : pour créer et maintenir l’illusion de rentabilité, c’est l’argent des derniers entrants qui est redistribué aux précédents, après que le promoteur a ponctionné sa part. En réalité, la seule et réelle activité du système pyramidal, c’est de trouver en permanence de nouveaux «investisseurs», pour redistribuer leur argent au précédents, et ainsi de suite. Tant que les « investisseurs » reçoivent de l’argent, leur confiance est renforcée, les encourageant non seulement à convaincre de nouveaux investisseurs, mais aussi à verser encore plus d’argent : un véritable cercle vicieux qui donne une apparence de solidité financière à toute la structure.

La pyramide se fragilise et  s’écroule  lorsque  plusieurs investisseurs décident de récupérer leur mise de fonds, ou lorsqu’il n’y a plus assez de nouveaux investisseurs pour injecter des fonds dans le système. Plusieurs investisseurs perdent ainsi  tous leurs dépôts, mais surtout les derniers entrants qui n’auront pas eu le temps de toucher leurs ‘’intérêts’’ ! Entre temps, l’initiateur se sera enrichi de façon spectaculaire, ainsi que les premiers investisseurs.

C’est ce même schéma d’escroquerie qu’a utilisé l’américain Bernard Madoff qui a fait perdre 65 milliards de $ Parmi les nombreuses victimes dans le monde entier figuraient des petits investisseurs, des gros fonds spéculatifs américains («hedge funds»), ainsi que de nombreux grands noms de la finance internationale tels que HSBC (Royaume Uni), Santander (Espagne), BNP Paribas et Natixis (France).