Le Togo est un pays atypique, déclarent exagérément certains compatriotes. La séquence politique actuellement en cours tend par moments à leur donner cependant raison. Pour la première fois sur le continent, lors d’une élection présidentielle un évêque avec son costume ecclésiastique a mené campagne au profit d’un candidat qu’il avait auparavant désigné lui-même, sur « inspiration du Saint-Esprit ». Et une semaine après le vote, ses collègues réunis au sein de la Conférence des évêques du Togo (C.E.T) , remettent en cause les résultats provisoires proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) non pas sur la base de procès-verbaux issus du scrutin, mais en convoquant non pas cette fois-ci le Saint-Esprit, mais leur « conscience ».
Depuis que Mgr Philippe Kpodzro truste le leadership de l’opposition togolaise, leur réaction était attendue. Surtout après que l’ancien archevêque de Lomé a adoubé un candidat et mené campagne avec lui. Elle est intervenue une semaine après la proclamation des résultats provisoires par la CENI. Les évêques du Togo, réunis au sein de la CET, ont publié ce 1er mars un message aux « fidèles et à toutes les personnes de bonne volonté ». Ils y relèvent que le scrutin ne fut ni transparent, ni équitable, « la main sur la conscience ». Ils appellent les différents acteurs impliqués ou concernés par le processus électoral à œuvrer pacifiquement au « rétablissement de la vérité des urnes ».
La CET qualifie de « courageuse » la démarche de Mgr Philippe Kpodzro, qu’elle refuse de désavouer, estimant qu’il s’est engagé dans « une cause que son cœur de pasteur trouve juste ». Elle dénonce par ailleurs ce qu’elle considère comme un blocage à résidence auquel serait astreint leur confrère, tout comme les intrusions survenues dans l’enceinte du collège St Joseph lors de la manifestation du 28 février dernier.
Confirmation de la partialité :
Si les hommes de Dieu sont dans leur rôle en se prononçant sur la situation politique actuelle en convoquant les grands principes, ils devraient cependant s’entourer de minimums de précautions en présentant des éléments probants au soutien de leurs doutes sur les résultats. En effet, remettre en cause les chiffres publiés par la CENI sur la simple foi de leur « conscience » est tout à fait hasardeux. Dans un contexte de contestation des résultats, toute prise de position, qui plus est émanant d’une autorité morale, devrait être guidée par un souci d’équilibre et de recherche de la vérité. Et certainement pas par la volonté de faire plaisir à l’opinion la plus bruyante, ni par une soumission aux desideratas exprimés par des activistes sur les réseaux sociaux. Le jugement porté sur le scrutin, pour éviter d’être livré aux critiques, aurait dû être conforté par des éléments concrets et vérifiables. La « conscience » quoique utile, n’en est pas un. Des rapports d’observation et des procès-verbaux issus des bureaux de vote, des centres de vote ou encore des Commissions électorales locales indépendantes (CELI) si. Et pour l’heure, ils confortent tous, les résultats de la CENI.
De fait, cette sortie vient valider à posteriori les doutes exprimés par le Ministre de l’Administration territoriale et des Collectivités locales pour refuser l’accréditation d’observateur du scrutin du 22 février au Conseil épiscopal Justice et Paix (CEJP). Pour Payadowa Boukpessi, ni l’impartialité ni l’objectivité du CEJP n’étaient établies. Cela avait ému l’opinion et provoqué de vives polémiques. Le communiqué des évêques semble aujourd’hui lui donner raison.
Non condamnation :
La position des évêques sur l’attitude de Mgr Philippe Kpodzro ces derniers mois équivaut par ailleurs à un soutien, comme le subodoraient beaucoup de compatriotes. Ils ne se sont pas désolidarisés du comportement clivant et partisan de leur collègue, ni porté de critiques, même pas à minima, sur ses propos souvent outranciers, et au-delà du délit. Or, l’ancien évêque d’Atakpamé a depuis fort longtemps fait entrer dangereusement la politique au sein de l’église. Avec tous les risques que cela comporte pour une compétition dont les enjeux du pouvoir sont au cœur : division, tensions, affrontements…. Toutes choses qui devraient rester aux portes de l’église. Il est de la prérogative et de la responsabilité des bergers que sont les prélats, de considérer cela comme un impératif catégorique et d’y veiller.
Au demeurant, il n’existe pas de vote uniforme au sein de l’église catholique. Parmi les fidèles et les assidus à la communion, se trouvent toutes les chapelles politiques, y compris UNIR. Il est malsain et insupportable qu’un évêque, se revêtant de ce manteau et convoquant le Saint Esprit qui par essence n’a pas de parti politique, adoube un candidat, « excommuniant » presque tous les autres. Et pas seulement celui du parti au pouvoir puisque même Jean-Pierre Fabre, jusque-là principal leader de l’opposition, en a fait l’objet. Il aurait été sans doute plus valeureux pour la CET de dénoncer aussi cela plutôt que d’emprunter la voie facile du conformisme et de la bien-pensance colportées par une certaine opinion sur les réseaux sociaux. Même la condamnation des intrusions sur les lieux privés et sacrés, en référence au Collège St Joseph, qui devrait faire unanimité, est sujette à caution. Car le vrai courage aurait été, tout en dénonçant ces actes des forces de l’ordre, interpeller les organisateurs de manifestations interdites ou pour le coup illégales, qui instrumentalisent le caractère particulier de ces sites.