Edem Tengué : « L’Afrique est le continent qui va connaitre la plus grande croissance en matière de transport maritime »

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Comment se porte le transport maritime en Afrique. Quel rôle le continent peut jouer dans la navigation verte. Comment développer les pays africains via l’industrie maritime ? A différentes questions le ministre togolais de l’Economie Maritime, de la Pêche et de la Protection Côtière, Kokou Edem Tengué a apporté des réponses dans cette interview accordée au magazine destiné aux actualités maritimes en Afrique, Maritimafrica, dans sa livraison n°4 de janvier 2023.

Maritimafrica : « Si le transport maritime était un pays, il se classerait parmi les dix plus grands émetteurs mondiaux », ont rappelé les gouvernements américain et norvégien, en présentant leur Green Shipping Challenge (« défi de la navigation verte») à Charm El-Cheikh, lors de la COP27… source Le Monde. Pensez-vous qu’une navigation verte est possible ?

Edèm Tengué : De nouveaux carburants, de nouvelles technologies et de nouveaux « modus operandi » sont nécessaires à cette évolution vers une navigation verte. Cependant, bien d’options sont sur la table aujourd’hui. Et hélas ! l’hésitation de nombreux armateurs à en choisir une est perceptible.

Les objectifs fixés par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) à l’horizon 2050 sont ambitieux et posent la nécessité d’investissements dans des infrastructures d’hydrogène à terre. Le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) présente une option intermédiaire avec des émissions inférieures à celles du mazout et à cet effet les navires « bicarburant » offrent une option intéressante.

Le choix de cette option bicarburant GNL/ hydrogène présente de nombreux avantages pour les armateurs aujourd’hui et demain. Cela signifie qu’ils peuvent investir dans de nouveaux navires avec la certitude qu’ils respecteront les normes de l’Organisation Maritime Internationale pour 2050 sans dépendre d’investissements dans des infrastructures d’hydrogène à terre et ne nécessitant que des installations de soutage de GNL existantes.

Les moteurs sont directement alimentés à l’hydrogène et au GNL, avec des pourcentages croissants d’hydrogène utilisés au fil du temps pour maintenir la cote CII (indicateur d’intensité carbone) du navire. D’autres mesures pratiques pour réduire les émissions aujourd’hui incluent la réduction de la vitesse (slow steaming), bien qu’il faille en étudier l’impact sur l’offre et la demande.

La digitalisation est également une piste. À mesure que les navires se digitalisent, il sera facile de comprendre de mieux en mieux les performances de la flotte en matière d’émission, l’impact des mesures prises pour réduire les émissions, les meilleures pratiques pour optimiser l’efficacité énergétique, ce qui facilitera les décisions d’investissement. À l’avenir, des données fiables seront nécessaires pour suivre l’efficacité énergétique et réduire les émissions.

M.A : Quels sont selon vous les meilleures initiatives pour la réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO₂) dans le secteur maritime ?

E.T : Je ne peux prédire ici et maintenant quels carburants ou quelles technologies deviendront les options gagnantes pour l’avenir. L’hydrogène jouera très certainement un rôle de vecteur énergétique et pourrait même ouvrir de nouvelles opportunités aux armateurs devant transporter de l’hydrogène ou de l’ammoniac. Nous devons nous préparer dès maintenant si nous voulons atteindre les objectifs à l’avenir, mais c’est un processus de transformation évolutive et, à mesure que nous progressons, nous devons nous assurer que les solutions sont à la fois pratiques et durables.

Certaines solutions ne sont pas encore prêtes à être déployées. Par exemple, il n’y a pas d’approvisionnement prêt ou d’infrastructures de soutien pour passer aujourd’hui à l’hydrogène vert ou au soutage d’ammoniac. Cependant, les solutions bicarburant et les biocarburants présentent une excellente opportunité de transition tout en restant sur la bonne voie des objectifs fixés par l’Organisation Maritime Internationale pour 2030 et 2050.

Les piles à combustible, qui fonctionnent au méthanol ou à l’hydrogène feront probablement également partie des futures conceptions de navires. De plus, et au-delà du transport maritime, la technologie de capture du carbone sera nécessaire si nous voulons atteindre les objectifs de changement climatique dans leur ensemble.

M.A : Que peut attendre l’industrie maritime de la COP27 ?

Le transport maritime doit s’adapter à une nouvelle ère. Les promesses ne sont pas des progrès, mais il faudra au moins une plus grande conversation plus large sur le transport maritime lors du sommet sur le climat COP27 de cette année en Égypte.

L’industrie du transport maritime attend que ses efforts de réduction des émissions de CO2 soient intégrés dans les plans nationaux de Reduction (CND) et une meilleure prise en compte de son rôle dans l’effort global de Réduction des émissions. Il attend d’être perçu comme une opportunité pour développer des corridors de transport vert, plutôt qu’un problème. Il ne peut y avoir de prospérité économique mondiale respectueuse de l’environnement sans une décarbonation du transport maritime et la COP de cette année doit l’affirmer.

M.A : Quelle est le rôle de l’Afrique dans l’avènement d’une navigation verte ?

E.T : L’Afrique est le continent qui va connaitre la plus grande croissance en matière de transport maritime à mesure que se fera son intégration dans le commerce mondial. En témoigne les multiples projets d’infrastructures portuaires que soit à Lekki au Nigeria, au port d’Abidjan, au port de Dakar, le port en eau profonde de Kribi au Cameroun, ou encore le port de Lomé qui demeure le plus grand port à conteneurs de l’Afrique sub-saharienne.

Elle a donc une responsabilité dans le développement d’une navigation verte qui sera une demande croissante à l’avenir. Elle doit donc s’y préparer. Elle est aujourd’hui la seule zone du monde à ne pas disposer de zones de contrôle des émissions. Elle doit remédier à cela pour pouvoir suivre l’application des normes de l’Organisation Maritime Internationale dans ses ports.

M.A : Les pays africains peuvent-ils en leur sein prendre des initiatives dans ce sens ?

E.T : Oui, une approche régionale ou sous régionale sera nécessaire. Il faut, je crois, travailler à l’avènement d’une Organisation Maritime Africaine (OMA). L’Organisation Maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (OMAOC) offre un embryon sur lequel nous pouvons bâtir. Cela permettra de parler d’une voie commune et de peser à l’OMI tant sur les questions de décarbonation que sur toutes les autres questions.

M.A : Votre mot de fin.

E.T : L’industrie maritime africaine doit se préparer. Elle ne pourra faire économie de la décarbonation. Ce qui n’est aujourd’hui que recommandation deviendra très vite norme contraignante.

La réflexion doit donc débuter. Elle doit poursuivre la voie du développement du commerce maritime par ses ports sans compromission sur les objectifs de réduction d’émission de CO2 par les bateaux. Et il faudrait que l’Afrique soit aidée dans la mise en place des infrastructures nécessaires par les différents mécanismes de financement climatique.