Le monde médiatique togolais a été secoué ces dernières semaines par le retrait définitif du récépissé de parution de l’hebdomadaire Indépendant Express ainsi que la suspension pour quatre mois du bihebdomadaire L’Alternative. L’émotion suscitée par ces deux décisions est légitime, d’autant qu’elles interviennent dans un contexte où plusieurs confrères doivent faire face à des procès intentés contre eux devant les tribunaux pour différents motifs.
La crainte d’une volonté des pouvoirs publics de serrer les vis de la liberté de la presse, et pour les plus alarmistes de museler la presse s’est emparée de la corporation, voire au-delà. Il est constant, en toute hypothèse que les décisions interdisant à un média de paraître, définitivement ou temporairement réduisent nécessairement l’espace public de liberté ainsi que l’expression plurielle des opinions. De ce point de vue, on ne peut que les regretter, en relevant au passage la situation de précarité dans laquelle se retrouvent désormais les membres des rédactions concernées.
Pour autant, une fois l’émotion passée et les condamnations de principe exprimées, il faut tout de même pour l’ensemble de la presse, au-delà de ces deux cas et du débat sur le caractère fondé des motifs allégués par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), s’interroger sur la manière dont elle exerce cette liberté si chèrement acquise et au prix de mille et un sacrifices de nos devanciers et de beaucoup de nos compatriotes. Dans l’intimité de nos consciences et dans le secret de nos chambres à coucher, il serait sans doute utile que nous nous saisissions de l’opportunité malheureuse que nous offre le contexte actuel, pour faire un examen sans complaisance de ce qu’est devenue la presse togolaise, et de ceux que les journalistes font des règles élémentaires d’éthique et de déontologie qui gouvernent notre métier.
En toute humilité, nous nous rendrons compte sans grandes difficultés que ce sont des règles dont certains ne s’embarrassent plus depuis fort longtemps et que le professionnalisme est une notion à des années-lumière de leurs pratiques. L’absence d’organisations fortes parce que minées par des divisions souvent artificielles et fondées uniquement sur des considérations viles, la faiblesse de l’instance d’autorégulation qui ne fait trembler personne ainsi que la quasi-absence de sanctions ont fini par nous faire croire que nous étions des Intouchables. Et que nous pouvions impunément, diffamer, salir la réputation, porter atteinte à l’image , détruire la carrière des individus, porter préjudice aux affaires et business souvent montés à la sueur de leurs fronts par d’honnêtes citoyens, dont parfois le seul tort est de n’avoir pas compris très vite les codes de certains confrères : le silence contre une enveloppe d’argent, peu importe si les faits allégués sont avérés ou non.
Seuls ceux qui n’ont jamais vu leur honneur ou leur réputation « être jetés en pâture aux chiens » pour reprendre l’expression de l’ex-président français, feu François Mitterrand lors des obsèques de son Premier ministre, Pierre Bérégovoy qui s’était suicidé quelques semaines plus tôt, ne peuvent pas comprendre. En décidant de nous asseoir régulièrement sur les principes gouvernant notre profession, en ne donnant pas force et vigueur à la belle idée de l’autorégulation, en considérant que la dépénalisation équivalait à l’absence de sanctions, nous avons créé les conditions d’un retour de bâton de la HAAC dont les décisions sont de durs rappels à l’ordre.
Le risque si la situation actuelle de quasi-anarchie devrait perdurer, est de voir à terme des citoyens régler par leurs propres moyens leurs contentieux avec les journalistes, lassés devant l’inertie devant la HAAC, de l’Observatoire togolais des médias (OTM) ou encore de la justice alors qu’ils estiment à tort ou à raison, avoir subi des préjudices par voie de presse.