Jeux de pronostics

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Il y a quelques semaines, les pronostiqueurs auraient misé, avec des gains assurés, sur la victoire de la majorité parlementaire sortante aux élections législatives initialement prévues le 20 avril 2024. En effet, le match entre un pouvoir ultra dominateur en ordre rangé de bataille et une opposition aphone, sortant à peine de la léthargie dans laquelle l’avaient plongée sa défaite à la présidentielle de 2020, ainsi que ses choix hasardeux aux conséquences ô combien suicidaires lors des législatives de 2018, laissait peu de place au suspense. 

Mais les cartes semblent avoir été redistribuées depuis qu’un groupe de députés d’Union pour la République (UNIR) a introduit et fait adopter un projet de loi de révision constitutionnelle. Désormais, le scrutin du 29 avril risque de se transformer en un référendum pour ou contre le changement constitutionnel, avec son lot d’incertitudes.

De fait, la vive contestation de la révision constitutionnelle, notamment sur le timing, l’opportunité ainsi que sur la procédure et finalement peu sur le fond, semble avoir réveillé l’opposition.  Le climat de tension politique qui s’installe au moment où démarre la campagne électorale lui offre sur un plateau d’or, un inespéré et « coup de marteau » thème de campagne. Au demeurant, elle pourra sillonner villes et villages sans s’embarrasser de présenter des projets socio-économiques structurants pour le pays, tout en échappant aux habituelles critiques sur son déficit patent de programme alternatif à celui du parti au pouvoir.

Autre élément qui peut faire le lit de l’opposition durant les joutes électorales en cours et peser sur les résultats attendus du scrutin, c’est le « winner-takes-all » qu’instaurera la nouvelle Constitution.  Cette expression américaine décrit le système adopté par la majorité des États, attribuant l’ensemble des grands électeurs d’un État au candidat qui obtient la majorité simple, empêchant toute représentation de votes minoritaires. Ramené au contexte politique togolais actuel, le « winner-takes-all » emporte que les vainqueurs des prochaines élections désigneront les deux têtes de l’Exécutif, le Chef de l’Etat et le Président du Conseil, ce dernier étant le véritable détenteur du pouvoir au sein de cette bicéphalie.

De fait, les perdants seront exclus de la gouvernance durant les six prochaines années. Cette perspective peut être un facteur favorisant pour l’opposition en ce que les électeurs, par souci d’équilibre et de recherche d’une vie politique inclusive, élisent une majorité relative, obligée de constituer une coalition pour gouverner.

C’est dire donc que le boulevard qui s’ouvrait devant la majorité sortante à la veille des élections, ressemble désormais à un vaste chantier après le vote de la nouvelle Constitution. S’étant peu ou prou compliqué la tâche alors qu’elle avait largement les faveurs des pronostics, elle ne pourra plus affronter l’opposition la fleur aux fusils. Elle devra désormais livrer une vraie bataille et être conquérante sur le terrain. Pour le jeu politique et l’enjeu démocratique, ce n’est peut- être pas plus mal. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.