C’est le nouveau héros africain, célébré sur les réseaux sociaux et applaudi dans plusieurs rues du continent. Non pas à cause de son physique avantageux de gladiateur et du personnage qu’il joue et dont il force les traits avec les lunettes sombres dont il ne se débarrasse presque jamais depuis qu’il a pris la tête des Forces spéciales guinéennes en 2018.
Mais pour avoir renversé un Alpha Condé, affaibli par son passage en force pour un troisième mandat ; un dédit de ses propres engagements antérieurs. Cependant, il faudra plus que des muscles et de l’emballement virtuel au lieutenant-colonel Mamady Doumbouya pour affronter les grands défis qui sont ceux de ce pays pauvre et profondément divisé par la gouvernance particulièrement clivante du président déchu.
Le principal tour de force du nouvel homme fort de la Guinée, outre le putsch lui-même qui fut incontestablement le premier, est son story telling. Brillamment construit, celui-ci fait de lui le nouveau visage de l’héroïsme et de la fierté africains, adoubé par tous ceux qui sont avides de changement dans leur pays et rêvent du grand soir , de révolutions sur le continent, au cours desquelles dans un effet domino, les régimes actuels seraient balayés et la tête de leurs dirigeants mis à la potence. Dans la même dynamique, des puissances comme la France seraient poussées à prendre la poudre d’escampette et leurs intérêts remis en cause.
Cette communication réussie est en réalité un tour de passe-passe en ce qu’elle relègue aux oubliettes, le fait que le patron des Forces spéciales avait été appelé aux côtés de Condé pour garantir la sécurité de la présidence et des institutions en 2018. Qu’à ce titre, il avait mené sans état d’âme la répression des manifestations de l’opposition en 2019-2020 où plusieurs dizaines de personnes avaient trouvé la mort. Elle passe également sous silence ses liens avec la France qui l’a formé comme soldat dans la Légion étrangère et à l’Ecole de Guerre, et dont il a épousé une ressortissante. Autant dire que sa francophobie supposée reste aussi une simple entreprise de com.
En toute hypothèse, les travaux d’Hercule qui attendent le CNRD exigeront davantage que de la com. Car il n’est pas acquis que, contrairement aux apparences, l’on ait déjà assisté à la fin du film. Pas que le président déchu reprenne son pouvoir ; peu probable. D’autant plus que si ses pairs ont difficilement lâché Blaise Compaoré et exigé le retour d’Ibrahim Boubacar Kéïta sans succès, presque aucun n’a versé des larmes à sa chute, si ce n’est celles de crocodile. Même sa propre formation politique a tôt fait de tourner sa page.
Mais dans un pays en proie à d’importantes difficultés socio-économiques, où les populations sont à fleur de peau à cause des tensions politiques, exacerbées par une arène publique très ethnicisée, le chef de la junte aura fort à affaire, y compris face à des partisans de l’ancien président qui , aujourd’hui rasent les murs mais doivent ruminer leur revanche.
En outre, on le sait, la plupart des pays où les militaires ont interrompu les processus politiques n’ont jamais été exemplaires. A cela, il faut ajouter qu’ à ce jour , bien malin celui qui pourra déclarer avoir une visibilité sur les intentions réelles du CNRD et sur sa feuille de route, en dehors des déclarations populistes et autres coups d’éclats qui font le buzz.
Cependant, il est tout de même rassurant de voir que Mamady Doumbouya semble être loin du personnage fantasque que fut un autre putschiste guinéen, démagogue et mégalo celui-là : Moussa Dadis Camara. Ce n’est pas rien.