« Les conditions dont est assortie la remise en liberté de notre client n’ont pas été négociées » : Me Darius Atsoo, avocat de Agbeyomé KODJO

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Agbéyomé KODJO
Me. Darius Atsoo, avocat de Agbéyomé KODJO

Le candidat malheureux à l’élection présidentielle du 22 février dernier Agbéyomé KODJO a été interpellé à son domicile la semaine dernière après trois convocations sans suite, et placé en garde-à-vue dans les locaux du Service central de recherche et d’investigation criminelle (SCRIC) plus de 72 heures. Présenté au procureur de la République, celui-ci a décidé d’ouvrir une information judiciaire contre lui. Le doyen des juges d’instruction l’a inculpé de plusieurs chefs d’accusation. Dans cette interview exclusive accordée à FOCUS INFOS, son avocat principal, Me Darius Atsoo revient sur le dossier.

Focus Infos : Votre client, M. Agbéyomé KODJO a été inculpé le 24 avril dernier par le doyen des juges d’instructions pour plusieurs infractions. Que lui reproche la justice togolaise ?

Me Darius Atsoo : Monsieur le doyen des juges d’instruction a effectivement inculpé Monsieur KODJO Agbéyomé de troubles aggravés à l’ordre public, de diffusion de fausse nouvelles et d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat infractions prévues et punies respectivement par les articles 495-3, 497 et 663 du code pénal

Votre client reconnaît-il les faits et quelle est votre ligne de défense ?

Notre client plaide non coupable et espère, avec les garanties d’un procès équitable, démonter, l’une après l’autre, les accusations portées par le parquet ;

Vous avez qualifié d’« extrêmement dures » les conditions du contrôle judiciaire. Allez-vous tout de même les respecter ? Quelle analyse faites-vous des conditions ?

Notre client est contraint de respecter les modalités conditionnelles dont est assortie sa mise en liberté par Monsieur le doyen des juges d’instructions. Toutefois, en considérant le statut de Monsieur KODJO Agbéyomé, ancien Président de l’Assemblé Nationale, ancien Premier Ministre, Député à l’Assemblée nationale pour la législature actuelle, candidat à l’élection présidentielle du 22 février 2020, à qui la constitution garantit l’expression de l’opinion politique, en toutes circonstances et quelque soit l’actualité politique, il nous semble que la condition qui lui interdit de faire toute déclaration tendant à la remise en cause des résultats du dernier scrutin présidentiel, est une grave atteinte à sa liberté d’expression et sa liberté d’exercer un engagement politique. Je vais vous livrer la réflexion d’un excellent et brillant confrère à ce sujet: « La constitution et les instruments internationaux signés et ratifiés par le Togo garantissent la libre expression de son opinion politique (par ailleurs consacrée par la charte des partis politiques) et l’exercice des droits politiques… » Et il se demande « comment peut-on interdire à une personne qui est officiellement arrivée 2e à l’élection présidentielle de se prononcer sur les résultats de ladite élection ? Comment peut-on interdire à une personne qui est député à l’Assemblée Nationale de porter un jugement sur une élection présidentielle ? Comment peut-on interdire à un chef de parti politique de donner son opinion sur une élection présidentielle ? »… Le confrère conclut que : « c’est tout simplement une violation de la liberté d’expression qui se décline en liberté d’opinion politique et des droits politiques des concernés. C’est proprement hallucinant. »  le confrère a tout dit.

La remise en liberté sous contrôle judiciaire est interprétée par beaucoup comme un pas vers l’apaisement. Est- ce à raison ? Et le cas échéant, quelle contrepartie avez-vous offert ?

Les conditions dont est assortie la remise en liberté de notre client n’ont pas été négociées et nous ne sommes pas en mesure de vous dire s’il s’agit d’un pas vers l’apaisement alors qu’il lui a été enlevé la seule « arme » dont dispose tout homme politique, la liberté d’exprimer son opinion politique y compris celle de pouvoir contester à tort ou à raison, les résultats d’une élection. En réalité, les conditions relèvent de la seule décision du juge instructeur. Vous comprenez lesdites conditions ne peuvent pas être la contrepartie d’aucune offre de notre client.

N’aurait-on pas pu éviter cette séquence de tensions avec notamment l’arrestation musclée de votre client s’il avait simplement déféré à l’une des trois ‘invitations « du SCRIC ?

Contrairement, à ce que le parquet a publié dans son communiqué après l’arrestation de notre client, ce dernier n’a jamais cherché à défier l’autorité de Monsieur le Procureur de la République, ni celles des enquêteurs. L’état de santé de notre client n’est pas du tout compatible avec une prise en charge dans les conditions d’une garde à vue. La conclusion du collège de médecins qui l’a examiné dans les locaux du SCRIC n’est pas différente de ce que nous avons dit et porté formellement à la connaissance du parquet ;

Par ailleurs, il faut relever que son arrestation s’est déroulée dans des circonstances de brutalité inacceptable  dénoncée par plusieurs partis politiques, organisations de la société civile et la  conférence épiscopale du Togo. En réalité, notre client a été convoqué pour être dans les locaux du service des recherches et d’investigations criminelles (SCRIC) le 21 avril 2020 à 9heures. Mais curieusement, dès la veille, une colonne de forces de l’ordre et de sécurité lourdement armés, se positionnent dans le quartier et encerclent le domicile de notre client. Le lendemain, l’assaut a été donné en défonçant le portail principal. Alors que notre client et les autres occupants de la maison n’ont opposé aucune résistance à la mission des forces de l’ordre et de défense, il nous a été rapporté que des actes de brutalité qui pourraient s’assimiler aux traitements cruels, inhumains ou dégradants ont été commis sur certains occupants de la maison. Nous sommes en train d’évaluer sérieusement la situation, pour envisager la suite à lui réserver afin que nul n’ignore qu’aucun citoyen dans les mêmes circonstances ne doit subir ces genres de traitements.

Vous avez appelé à un procès rapide. Votre client est-il impatient de retourner sur le terrain politique y compris en remettant en cause l’ordre constitutionnel et institutionnel existant, ce que lui interdit son contrôle judiciaire ?

L’article 19 de la constitution togolaise a consacré le droit de toute personne en toute matière à ce que sa cause soit entendue et tranchée équitablement dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale.

Il est évident que les conditions du contrôle judiciaire auxquelles, notre client est astreint, ne lui permettent pas d’exprimer sa liberté d’engagement politique, ce qui est une atteinte grave à sa liberté fondamentale d’expression. En tout état de cause, nous serons vigilants sur l’attitude du juge en ce qui concerne son contrôle de la mise en œuvre de ces conditions.

Vous avez par ailleurs appelé à une justice indépendante et impartiale. Faites-vous confiance en notre justice ?

Dans une affaire comme celle qui oppose Monsieur KODJO Agbéyomé au Ministère public, l’indépendance et l’impartialité des juges, qu’ils soient du parquet ou du siège, sont des garanties minimales que notre client est en droit d’attendre de notre système judiciaire.

Vous n’êtes pas sans savoir que notre client conteste vigoureusement la procédure parlementaire qui a conduit à la levée de son immunité parlementaire, ce qui, en réalité, a ouvert la voie au Procureur de la République pour lancer les actes de poursuite. Nous avons demandé en vain à Monsieur le Procureur de la République de suspendre provisoirement la poursuite en attendant la décision du Juge saisi pour examiner la régularité de la procédure parlementaire contestée. Les exigences d’indépendance et d’impartialité du juge, dans une société démocratique, l’auraient amené à accéder à cette demande sans renoncer à son désir de poursuivre notre client.

En plus du recours contre la résolution de l’assemblée nationale ayant levé son immunité parlementaire, notre client nous a chargé de saisir la chambre d’Accusation près la Cour d’Appel de Lomé pour arrestation arbitraire en violation de la constitution du Togo, de la déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.

Notre client fait confiance à la justice de son pays mais il est de notre devoir d’être vigilant et d’apprécier les exigences d’indépendance et d’impartialité à l’occasion de l’examen des recours pendants devant le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé et de la chambre d’Accusation près la Cour d’Appel de Lomé.

Un mot sur l’équipe de défense de votre client ?

La défense de Monsieur KODJO Agbéyomé est assurée par un collectif d’avocats composés pour l’instant de Me KOUADIO N’DRY Claver, Avocat au Barreau de Côte d’Ivoire, de Me AGBOGAN Kokouvi Gamadiko, de Me AJAVON Ata Messan Zeus, tous deux avocats au barreau national du Togo, et de moi-même, avocat au même barreau, conseil principal.