Licenciement : une épée de Damoclès sur la tête des travailleurs

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En ce 21è siècle, la sécurité de l’emploi est devenue une chimère. Presqu’aucun emploi n’est plus garanti à vie. Tous les employés doivent vivre avec cette épée de Damoclès qu’est le licenciement, suspendue au-dessus de leur tête. Quelles sont les raisons qui conduisent au licenciement ? Comment vivent les licenciés cette situation ? Et quels sont les recours possibles que leur offre la législation ? Eclairage dans ce sujet.

Certains licenciements marquent une société et deviennent le symbole des relations sociales difficiles que peuvent entretenir les investisseurs et les dirigeants de société d’une part, et les salariés d’autre part. Au Togo, c’est le cas avec la fermeture de l’usine textile de Datcha située à 165 kms au nord de Lomé qui a mis sur le carreau plusieurs employés, ou encore la situation des ex-agents de l’hôtel de la Paix ou de la Société Nationale de Phosphate du Togo (SNPT). Au total, ce sont près de 2000 personnes qui ont été licenciées par ces 3 sociétés, qui furent des fleurons de l’économie togolaise, chacune dans son secteur.

Dans bien des cas de licenciement, surpris par la mesure, les employés doivent se résoudre à trouver un nouvel emploi, à se reclasser s’ils en ont l’opportunité. A défaut, c’est la descente aux enfers sur le plan social.
« C’était au lendemain de la fête du 13 janvier 2009. Nous sommes arrivés au service comme d’habitude. Et là, nous apprenons que nous avons été licenciés. Des agents de sécurité nous ont confié que des hommes encagoulés sont venus placarder la décision sur les murs la veille. Aucun délégué du personnel, encore moins employés n’a été informé de la mesure » se rappelle Akué ADOTE, un ex employé de la SNPT.
Tout comme lui, ce sont 614 employés dont 48 personnes de cette société qui devraient jouir de leur droit à la retraite à compter de cette année là. Quelques années plus tôt, ce sont 450 travailleurs de l’usine textile de Datcha qui avaient subi le même sort. Dans l’un et l’autre cas, ces employés sont aujourd’hui confrontés à de graves difficultés financières et devenus pour la plupart des laissés-pour-compte sociaux. C’est un véritable drame social lorsqu’on sait qu’en Afrique, « une personne qui travaille nourrit en moyenne 4 à 5 personnes ».
« 125 personnes ont déjà succombé depuis notre licenciement sans compter leurs femmes et les enfants. Autres conséquences de ces licenciements constatés dans le canton de Datcha, est la
déscolarisation des enfants, les divorces, la multiplication de la prostitution des jeunes filles avec pour conséquence le VIH/Sida, l’augmentation de la traite et du trafic des enfants vers le Bénin et le Nigeria, le délogement des familles locataires, », relate M. Nakpane KPANTE, porte-parole des ex employés de la société de textile du Togo.
Pour Me Edoh AGBAHEY, avocat au barreau de Lomé, vu de l’extérieur on ne se rend pas compte du drame que constitue le licenciement. Il tue plus qu’on ne l’imagine même si le licencié n’a pas d’enfants à sa charge.
Dès les premiers jours, la situation est durement ressentie. « La misère est totale. La désolation aussi », résume M. Adoté. Etant donné que c’est un licenciement brusque qui n’était pas préparé, ceux qui étaient sous prêts dans les banques font face à des coupes des droits légaux versés de la part des institutions bancaires ou à des poursuites au cas où ils n’arrivent pas à solder leurs prêts. Conséquence, des
employés se retrouvent avec rien du tout.
Procedures judiciaires et reglement
Le licenciement est donc la mesure par laquelle, agissant d’une manière unilatérale, un employeur met fin au contrat de travail qui le lie à un salarié. Le législateur n’admet le licenciement du travailleur que pour trois motifs. Il s’agit de l’inaptitude professionnelle du travailleur, faute ou inconduite du travailleur et la nécessité de fonctionnement ou raison économique.
Dans tous les cas, il appartient au juge de conclure au caractère abusif ou non du licenciement. Cependant avant d’arriver au tribunal, l’une des deux parties peut saisir l’inspecteur du travail pour une tentative de règlement à l’amiable. Domicilié dans chaque circonscription administrative, l’inspecteur du travail a pour mission de tenter d’écouter toutes les parties, de les concilier ou dans le cas contraire donne son avis. Toutefois, cet avis n’est pas exécutoire ou n’a pas force de loi. Si l’inspecteur n’arrive pas à concilier les parties, elles peuvent alors continuer la procédure devant le tribunal. La saisine du
tribunal est libre et gratuite.
Généralement, c’est par une requête introduite au tribunal du travail, à la suite de laquelle l’employeur ou son contradicteur est convoqué.
La première rencontre est une audience de conciliation. Le juge explique au patron les motifs de la convocation et expose les dommages et intérêts que réclame l’employé. Si l’employeur accepte de payer, l’affaire est réglée à ce niveau. Dans le cas contraire la procédure suit son cours.
Dans ce cas, toutes les parties écrivent et envoient une copie de son argumentaire au tribunal pour son adversaire, c’est ce qu’on appelle échange de conclusions ou de mémoire.
Ce n’est qu’après ces chassés croisés d’écriture que le juge donne une date pour la décision. S’il estime que le licenciement est abusif, il condamne l’employeur à payer. Le montant de cette dernière tient compte du salaire du licencié, de son ancienneté, de son âge ou encore de sa situation matrimoniale.

Même un licenciement économique a ses règles. « Les employés qui n’ont pas de charge, les célibataires, ceux qui sont engagés nouvellement doivent être les premiers visés » explique Me AGBAHEY. Tel n’est pas le cas pour la SNPT, soutient M. ADOTE qui déplore que 10 veuves qui travaillaient au sein de la société ont été licenciées alors que six couples (maris et femmes) y demeurent. « L’application des textes est un grand souci dans notre pays. Il reste un chemin qu’on n’a pas encore entamé », note l’avocat.
Pour les dossiers de licenciements considérés comme des cas sociaux, les procédures recommandent que l’affaire soit traitée avec célérité. Mais force est de constater qu’aucune des trois affaires citées plus haut n’ont abouti. Après plus de dix ans de procédure, le dossier de 600 pages des ex employés de la SNPT a disparu de la justice ; il a fallu une recomposition. Ce qui fait dire à M. ADOTE qu’il y a des mains noires tapies dans l’ombre qui ne veulent pas voir l’évolution du dossier. Pendant ce temps, les pères de famille meurent dans le dénuement. Même des pistes de solution à l’amiable ont été explorées pour tous ces cas. Des solutions auxquelles le chef de l’Etat même sollicité, a donné son aval, mais qui n’ont pas permis à ces agents de voir le bout du tunnel.
A noter que selon les usages, si le licenciement abusif est avéré, généralement le calcul des dommages et intérêts se fait de façon suivante : si vous aviez plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de onze salariés, votre demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s’élèvera à la somme d’au moins six mois de salaires. Si vous aviez moins de deux ans d’ancienneté ou étiez dans une entreprise de moins de onze salariés, votre demande sera une demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif et ce sera au juge d’en évaluer souverainement le montant en fonction du préjudice que vous avez subi du fait de ce licenciement abusif.
Pour M. ADOTE ce que les survivants de ces licenciements attendent, c’est que « chacun puisse avoir quelque chose pour reconstituer sa vie avant de partir ». Une attente qui dure depuis plusieurs années.