Menace terroriste dans la région des Savanes : des vies sauvées grâce aux actions humanitaires

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Depuis 2021, la région des Savanes, située à l’extrême nord du Togo, est confrontée à une détérioration progressive de la sécurité. Cette insécurité croissante entraîne des déplacements massifs de population. Plusieurs villages ont été vidés de leurs habitants, contraints de fuir vers des zones urbaines ou de rejoindre des cantons jugés plus sûrs. Dans ce contexte, la vulnérabilité des ménages s’accroît et leurs conditions de vie se dégradent. Face à cette situation, les organisations humanitaires nationales, régionales et internationales mobilisent des ressources pour intervenir afin de répondre aux besoins d’une population frappée par un double choc : l’insécurité et la précarité socio-économique. Ces actions sont menées dans le cadre de plusieurs projets dont le PURS (Programme d’urgence pour la région des Savanes).

Très tôt, les agences onusiennes, à l’instar du Programme alimentaire mondial (PAM), de la FAO, de l’UNICEF, du PNUD, ainsi que plusieurs ONG internationales comme Plan International Togo ou la Croix-Rouge, ont pris la mesure de la crise. Pour affiner leurs interventions, elles s’appuient sur des collaborations avec les autorités locales pour conduire des missions dans des secteurs comme la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation, la protection civile.

Elles s’appuient également sur une cartographie permettant d’identifier les zones les plus exposées à la menace terroriste qui sont notamment les cantons frontaliers de Nadoba, Pogno ou Baga et celles où l’afflux de déplacés internes est le plus massif. Les données recueillies facilitent l’ajustement rapide des interventions humanitaires, apprend-on.

Sécurité alimentaire et appui agricole

L’insécurité a profondément perturbé les cycles agricoles dans la région des Savanes. Nombre de villages, abandonnés en urgence, ont laissé des champs à l’abandon. Pour répondre à cette situation, le PAM, en partenariat avec le ministère togolais de l’Agriculture, a lancé un programme de transferts monétaires ciblés.

Depuis 2022, plus de 15 000 ménages vulnérables ont bénéficié de coupons électroniques leur permettant d’acheter des produits de base comme les céréales, l’huile, et les légumineuses dans des points de vente agréés. Parallèlement, près de 5000 ménages ont reçu des semences certifiées afin de relancer la culture du sorgho et du mil à l’approche de la saison des pluies. Les coopératives agricoles locales, parfois affiliées à des associations comme l’Union des femmes paysannes de Tandjouaré, accompagnent les déplacés internes dans des zones sécurisées, désignées comme « pâturages protégés », où la présence des forces armées togolaises garantit une surveillance renforcée.

Dans le cadre du projet « Réponse immédiate aux ménages déplacés dans les zones affectées par les conflits et la crise alimentaire dans la région des Savanes au Togo », cofinancé par la Direction générale de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes (ECHO) et mis en œuvre par la FAO, les familles déplacées commencent à retrouver une certaine stabilité.

À travers l’agriculture, elles amorcent une reconstruction progressive de leur quotidien et renforcent leur résilience face aux chocs. Le projet, déployé entre mai 2023 et avril 2025, mobilise un budget de plus de 600 000 euros. Il a permis d’apporter une assistance d’urgence à 2307 ménages déplacés et familles d’accueil, sous forme de distributions de semences améliorées de maïs et de riz, ainsi que d’engrais, afin de stimuler la production céréalière.

Au total, 11 535 personnes en ont bénéficié. Durant la campagne agricole 2023-2024, 1173 ménages ont été soutenus, tandis que 1134 autres le seront au cours de la campagne 2024-2025 (en cours actuellement). Chaque foyer a reçu, pour chaque campagne, un lot composé de 10 kg de semences de maïs ou 20 kg de riz, 100 kg d’engrais NPK et 50 kg d’urée à 46 % d’azote. Pour la saison agricole 2024-2025, dix sacs en polypropylène tissé ont été ajoutés au kit distribué à chaque ménage.

En complément, un appui spécifique à la production maraîchère de contre-saison a été accordé à 320 ménages parmi ceux disposant d’un accès à des périmètres aménagés dès octobre 2024.

Accès aux services de santé et réponses médicales

Les structures de santé de la région sont sous tension. Dans les centres de santé de Dapaong, des unités spécialisées dans la prise en charge des traumatismes physiques (notamment causés par les mines artisanales ou engins explosifs improvisés) ont été mises en place en urgence. Pour répondre à l’augmentation des besoins, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) a renforcé les services de prise en charge psychosociale et obstétricale. Par exemple, l’unité sanitaire de Nadoba, entre autres, est désormais équipée de kits d’accouchement d’urgence et assure un suivi postnatal, essentiel pour une population souvent coupée de ses soutiens familiaux habituels.

Protection et actions en faveur des populations déplacées

La protection des personnes déplacées internes est devenue une priorité dans la région des Savanes, en proie aux incursions répétées de groupes armés. Des kits d’hygiène sont distribués dans les sites accueillant les déplacés, tandis que des agents communautaires formés à la prévention des violences basées sur le genre mènent des actions de sensibilisation sur les risques d’exploitation ou de recrutement forcé.

Dans certaines localités, des structures d’accueil temporaires, hébergées dans des écoles ou des bâtiments publics, permettent aux familles de se mettre à l’abri. Ces sites, gérés en partenariat avec les autorités préfectorales, sont dotés de puits, de latrines et de points d’eau potable. L’Unicef a également mis en place des espaces amis de l’enfant (EAE) à Dapaong, Mango et Kantindi, où des activités pédagogiques et récréatives sont organisées pour les mineurs déplacés, afin d’éviter leur enrôlement ou leur mise au travail.

La Croix-Rouge en action

Face aux déplacements récurrents dans la région, l’État togolais, par l’intermédiaire de l’Agence nationale de protection civile (ANPC), a sollicité l’appui de la Croix-Rouge togolaise. Avec le soutien de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du CroissantRouge (FICR), la Croix-Rouge a mis en œuvre une réponse rapide, financée par un fonds d’urgence de 22 millions FCFA. Plus de 10 000 personnes ont bénéficié de cette assistance.

En parallèle, un appel à mobilisation de 2 milliards FCFA a été lancé afin de venir en aide à 58 000 personnes déplacées et à leurs familles d’accueil. Les actions concrètes menées par la Croix-Rouge incluent la distribution de kits non alimentaires (seau, moustiquaires, produits de désinfection, comprimés de chlore) et alimentaires (maïs, haricots, riz). Plus de 2700 ménages ont déjà été soutenus. Malgré ces efforts, les besoins restent immenses et nécessitent une mobilisation continue.

Témoignages de terrain

À Kantindi, dans un centre de santé soutenu par Médecins sans frontières (MSF), Amina, 28 ans, raconte : « Quand ma maison a été détruite lors d’une attaque, j’ai fui avec mes deux enfants. Grâce aux distributions alimentaires du PAM et aux consultations gratuites, nous avons pu survivre. Sans cette aide, nous aurions perdu tout espoir. »

À Nadoba, un chef de canton témoigne : « Les ONG nous ont aidés à reconstruire une école de fortune. Même si la menace demeure, voir les enfants retourner en classe est un signe fort de la reprise de la vie. »

 Kombaté Damga, déplacée du Kpendjal, vit depuis deux ans dans le village de Pana. « La première année a été très difficile. Nous dépendions totalement de nos hôtes. Grâce à l’aide reçue, nous avons pu cultiver un petit champ, manger à notre faim, et retrouver un semblant de dignité. »

Les familles d’accueil, elles aussi en situation précaire, bénéficient du soutien de la FAO pour faire face à l’afflux. Namoura Kombaté, mère de famille dans la région, raconte avoir accueilli un couple et ses deux enfants fuyant la région de Borgou. « Au début, c’était très difficile. Mais en 2024, j’ai été recensée par les autorités locales, ce qui m’a permis de bénéficier d’un appui agricole. Cette aide a été vitale. » L’histoire de Kolani N’fandam, réfugié du Burkina Faso arrivé en 2023, illustre aussi les effets positifs de cette assistance : « Je n’avais ni terres ni outils. En 2024, j’ai reçu des semences, des engrais, et nous avons pu produire suffisamment pour vendre une partie de la récolte. Nous avons acheté une motopompe, loué des terres, creusé un puits. Aujourd’hui, notre maraîchage se développe. »

Les organisations humanitaires, acteurs indispensables

Dans le Nord Togo où la situation sécuritaire reste volatile, les organisations humanitaires jouent un rôle déterminant. Leurs interventions, qu’il s’agisse de transferts monétaires, de cliniques mobiles ou de soutien à l’éducation, ont permis d’éviter l’effondrement total des services sociaux. Toutefois, il est à noter que l’enjeu dépasse l’assistance ponctuelle : « il s’agit de garantir une dignité durable aux milliers de personnes déplacées, privées de repères et de stabilité ».