A trois semaines de l’élection présidentielle prévue au Sénégal, Macky Sall jette un pavé dans la mare en annonçant, à la faveur de son adresse à la nation et quelques heures avant l’ouverture de la campagne, avoir abrogé le décret convoquant le corps électoral. Une décision qui acte le report de la présidentielle du 25 février 2024 et provoque des remous dans « le pays de la Teranga».
Dans la foulée, le président sortant qui ne se représente pas, devrait s’offrir un bail prolongé au pouvoir, au-delà donc de la fin constitutionnelle de son mandat. Assez pour déclencher une avalanche de violences dans le pays et susciter une tempête de protestations. Surtout qu’en questionnant les motivations, de nombreux analystes les trouvent peu pertinentes et insuffisantes pour fonder cette décision.
Certes, à ne pas nous y tromper, les motivations semblent innocentes. « J’engagerai un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive », a-t-il justifié. La parade parfaite, certes. Une élection libre, transparente et inclusive, c’est cela, le vœu de tous, Macky Sall en premier. D’autant plus que l’élection est réputée le mode par excellence de dévolution du pouvoir d’Etat dans les régimes qui optent pour la démocratie, à l’image du Sénégal.
Toutefois, le timing choisi pour ce faire, semble loin d’un hasard de calendrier. Pourquoi un tel choix, sur le tard ?
C’est un truisme, la démarche aurait fait l’unanimité si elle avait été anticipée, si l’ouverture du processus électoral avait été reportée plus tôt, le temps de créer toutes les conditions optimales d’une élection présidentielle réussie.
Certains candidats recalés à l’instar de Karim Wade, à cause de leur double nationalité, crient à une collusion regrettable de certains challengers avec quelques juges constitutionnels. Jetant du coup, du discrédit sur une institution comme le Conseil constitutionnel et appelant au détour, à l’installation d’une cour constitutionnelle à l’image des grandes démocraties. Soit ! Mais le Président Macky Sall est-il habilité à suspendre un processus électoral, aussi avancé ? Au nom de l’inclusivité du processus qu’il clame ? Le président serait-il autant soucieux de donner chance égale à tous les candidats ?
Et pour donner force légale à la décision du Président de la République, la majorité parlementaire a, sans coup férir, fait passer la loi, à la faveur d’une session qui s’était poursuivie jusqu’à la nuit ; l’opposition qui tentait de faire obstruction au vote ayant été escortée hors hémicycle par des gendarmes. Cerise sur le gâteau, le Président sénégalais pourra désormais rester sur le fauteuil présidentiel jusqu’en décembre prochain.
Après ses multiples crises à intervalles quasi-réguliers, revoilà le pays de la Teranga exposé à de nouveaux risques de tensions, sinon de crise. D’ici à décembre prochain, plusieurs rebondissements sont pressentis dans ce dossier où d’aucuns redoutent d’ailleurs une volonté de rétropédalage chez Macky Sall, qui annoncerait alors sa candidature pour briguer un 3ème mandat, jugé illégal par l’opposition sénégalaise.
Et en vérité, une telle annonce ne ferait pas l’effet d’une bombe, tant le flou entretenu par le Président sortant sur une troisième candidature, couplé aux difficultés savamment créées à Ousmane Sonko vers son dessein présidentiel laissaient présager une telle éventualité.
La grande inconnue en revanche, c’est l’ampleur redoutée des tensions qui pourraient survenir à la suite de ce scenario pour le moins inattendu dans ce pays de longue tradition démocratique en Afrique ; pouvant ainsi carrément ramer à contre-courant des bonnes intentions (sic) affichées par le Président sortant.