Vie chère: Les Togolais inquiets

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  • Chiffres et statistiques de l’évolution des prix
  • Les causes de la flambée
  • Les réponses du gouvernement

Les Togolais sont confrontés depuis plusieurs semaines à une flambée des prix des produits de première nécessité sur les marchés. Cette hausse qui n’est pas une exception togolaise, frôle parfois les 100% pour certaines céréales. Elle constitue une difficulté supplémentaire pour les ménages, déjà rendus vulnérables dans un contexte de pandémie due à la Covid-19. Quelle est la réalité de cette vie chère désormais sur toutes les lèvres ? Quelles en sont les causes et peut-on s’attendre à un retour à la stabilité ? Dossier FOCUS INFOS.

Les prix des céréales ainsi que ceux de beaucoup de produits de première nécessité flambent   à Lomé, où par endroits, ils ont quasiment doublé.

Ainsi, le bol de maïs vendu il y a encore trois mois à 500 FCFA connaît une hausse moyenne de 50 à 80 % selon les marchés, et est désormais proposé à Lomé entre 750 et 900 FCFA. Dans le marché d’Akodésséwa par exemple, il se négocie à 750 FCFA , tout comme à Totsi ou encore à Adidogomé. A Agoè Assiyéyé, il fluctue entre 750 et 800 FCFA.

Très consommé au quotidien, le bol de gari était négocié entre 400 et 500 FCFA il y a quelques semaines. Depuis, son prix a doublé, voire triplé par endroits. Il est  dorénavant vendu   à  1200 FCFA, notamment sur les  marchés  de Gbossimé, d’Adidogomé, d’Agoenyivé ou encore de  Totsi depuis les mois d’avril-mai, soit une hausse exponentielle de 200% en moyenne.

Le haricot également prisé par les ménages voit son prix s’envoler. Il est vendu à 2200 FCFA sur les marchés d’Akodésséwa et  de Totsi,  et entre 1800 et 2000 FCFA sur celui  d’Agoè Assiyéyé. Alors qu’il coûtait 1500 FCFA il y a encore moins de 3 mois.

Quant au prix du  bol du sorgho, sa hausse est d’environ 100%, fixé désormais à environ 1000 FCFA contre 400 voire 500 FCFA quelques semaines plus tôt.

Tout comme les céréales, les produits de première nécessité importés n’échappent pas à l’inflation. L’huile végétale a connu une hausse de 40% en moyenne, se négociant à 1000F le litre  en moyenne contre 700 FCFA il y a quelques semaines. La progression du prix du blé est de 25% , vendu à 1000 FCFA contre 800 FCFA précédemment.

Sur les marchés visités, le prix du bol de riz est en hausse de 25%, passant en moyenne  de 1200 à 1500F CFA. Celui du sucre résiste mieux avec une légère hausse d’environ 4%, passant de 1350 à 1450 FCFA le bol.

Négocié  avant janvier 2021 entre 1500 et 2000 FCFA, le plateau de 30 œufs est désormais disponible chez les grossistes à partir  de 2200 FCFA  pour celui

précédemment vendu à  1500 FCFA, entre 2600 voire 3000 FCFA par endroits pour celui vendu à 2000FCFA il y a quelques semaines.  « Nous pouvions acheter les œufs  avant décembre 2020  à 1800, 1900, 2000 F CFA chez les grossistes. En décembre,  il y a eu une légère hausse.  Depuis,  les œufs me sont livrés à différents prix : 2300,2500,2600,2700 voire 3000 FCFA », nous a confirmé,  Théa Kotchayé, revendeuse d’œufs à Lomé.

Outre les prix des denrées alimentaires, sont venues s’ajouter d’autres hausses notamment celles du prix des produits pétroliers.  Ainsi, depuis le 10 juin,  le super sans plomb est vendu à 505 FCFA contre 425 FCFA précédemment,  le pétrole lampant à 400 FCFA contre 375 FCFA, le gas-oil à 520 FCFA contre 450 FCFA et le mélange 2 temps à 606 FCFA contre 532 FCFA.

L’intérieur du pays aussi….

La cherté de vie ne se ressent pas seulement à Lomé. Des localités de l’intérieur du pays connaissent également cette augmentation des prix des produits céréaliers. C’est le cas, entre autres, du village d’Afagnan situé à plus d’une cinquantaine de kilomètres de  Lomé.

Le bol du maïs (équivalent à la moitié de la mesure utilisée à Lomé) a connu une hausse de plus de 30%,  coûtant désormais 400 FCFA contre  moins de 300FCFA l’année dernière.

Que disent les statistiques nationales ?

La spéculation sur les prix des denrées alimentaires sur les marchés n’est pas uniforme,  même si  la tendance générale est à  la hausse. Celle-ci est confirmées par les statistiques nationales.

Selon l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques et Démographiques (INSEED), le prix du kilo de la farine de manioc (gari) qui ne dépassait pas en moyenne 386 FCFA en 2020 a franchi la barre de 500 FCFA/kilo au mois d’avril 2021, soit 544 FCFA. Le kilo du gari qui était vendu  à 338 FCFA en mars 2020 est vendu à 496 FCFA au même mois en 2021. En mai de cette année, les ménages ont déboursé 144 FCFA de plus qu’ils n’ en avaient dépensé au même mois en 2020 pour s’approvisionner d’un kilogramme de gari soit 500 FCFA. De même, le prix moyen du kilogramme du maïs est passé de 160 FCFA en 2020 à 215 FCFA au mois de mai 2021 et celui du mil de 399 FCFA le kg à 454 FCFA. Le haricot blanc sec qui s’achetait en 2020 sur les marchés en moyenne à 540 FCFA le kg est passé à 663 FCFA depuis avril de cette année.

Une flambée à plusieurs déterminants

La flambée des prix des produits de première nécessité sur les marchés est la résultante de plusieurs facteurs. Selon une étude de la Direction des Statistiques Agricoles de l’Informatique et de la Documentation (DSID) reprise par Mawuli AMEWUAME, spécialiste de la sécurité alimentaire dans l’une de ses tribunes, et publié chez nos confrères Agridigitale, la campagne agricole s’est soldée spécifiquement par une baisse (-2,97%) de la production de maïs par rapport à la campagne précédente. Celle-ci  est  liée à la Covid-19 ainsi qu’à la mauvaise pluviométrie.

De fait,  la pandémie  a engendré une perturbation des circuits d’approvisionnement,  avec pour conséquence  une hausse significative des prix des denrées alimentaires de 30% voire 50% que l’ont constate sur le marché.

« Nos chauffeurs ne nous ramènent plus les produits aux prix habituels. Le transport Lomé-Afagnan qui était à 1500 FCFA  est à 3000 FCFA  actuellement. Il faut négocier pour que certains chauffeurs acceptent entre 2500 et 2800 FCFA.  Dans la foulée,  le prix de transport des marchandises a évolué avec les chauffeurs qui sont intransigeants en évoquant, entre autres, les mesures restrictives liées à la pandémie. Dans ces circonstances, on ne peut qu’augmenter le prix de vente des produits »,  justifie dame Akakpo, revendeuse de céréales.

S’ajoute aux conséquences induites  de  la pandémie, la hausse du prix des produits pétroliers qui influe in fine sur les prix de revente des produits de premières nécessités sur les marchés.

« Les dispositions prises  par le gouvernement dans sa stratégie de lutte contre la propagation de la Covid19 nous créent  des tracasseries sur la route,  en plus de hausse des prix pétroliers. Nous sommes contraints d’augmenter les prix pour avoir notre marge.   Cette hausse des prix de transport influe  sur le prix final des produits sur le marché que nous supportons tous en tant que consommateur », explique Amah Abalo, chauffeur.

L’autre facteur est la mauvaise pluviométrie de la campagne agricole 2021-2022. Certains grossistes en saisissent l’occasion pour reconstituer leur stock ou en font de la rétention , avec pour objectif de le revendre beaucoup plu cher; de vrais spéculateurs.

« Cette année la pluviométrie a été mauvaise.  Les paysans n’ont pas pu semer à temps.  Ceux qui ont pu le faire ont été confrontés à une sécheresse qui a freiné la croissance. Ce qui fait que jusqu’en juin,  nous n’avons pas eu le nouveau maïs, et par expérience, ceci est un signe que les récoltes seront mauvaises. Je préfère ne pas tout vendre en attendant de voir s’il n’y aura pas une  pénurie plus importante qui me fera faire d’importants profits », confie Dagan, grossiste de céréales au quartier Amadahomé.

Par ailleurs,  les consommateurs payeraient en partie le prix de la complicité ou de la solidarité des revendeuses de produits céréaliers sur  les marchés. Celles-ci fixent délibérément les prix en fonction de la demande. Ce que certaines d’entre elles réfutent.

« Nous ne sommes pas producteurs des produits céréaliers. Nous fixons les prix selon le prix d’achat chez les producteurs dans les villages. Nous sommes aussi dépendants de ces derniers et d’autres frais », soutiennent-elles.

Le Gouvernement en action

Face à la situation, le gouvernement a pris une série d’initiatives.   Il a ordonné à l’Agence nationale de la sécurité alimentaire (ANSAT), début juin , de rendre disponibles ses stocks pour une nouvelle campagne de vente des produits céréaliers aux populations. Il s’agit pour les autorités publiques de desserrer l’étau spéculatif entretenu par certains commerçants afin de couvrir les besoins des populations.

A cet effet, les prix des produits et des denrées de première nécessité  sont fixés selon les quantités et les céréales. Le sac de 50kg de maïs est à 9500 FCFA,  50kg de sorgho à 10 500FCFA ,  50kg de mil à 11 000FCFA, 30kg de riz KR  à 9500FCFA ; 25kg de riz local long grain à 13 000FCFA, 25kg de riz local Brisure à 10 000FCFA, 25kg de riz local couscous à 7500FCFA, et le sachet de 1kg de farine de maïs à 325FCFA.

En vue de permettre à tous les citoyens de bénéficier de cet accompagnement du gouvernement, « le nombre de sac à acheter par client est limité à deux».

Par ailleurs, le gouvernement a  décidé de soumettre à compter du 30 juin à une  autorisation préalable,  l’exportation des produits de grande consommation.

« Le gouvernement porte à la connaissance des opérateurs économiques que l’exportation des produits de grande consommation tels que le maïs, le sorgho, le mil, le haricot, le riz, l’igname, le manioc et les farines du manioc est soumise, jusqu’à nouvel ordre, à une autorisation préalable du ministre chargé du commerce », indique le communiqué  rendu public à cet effet.

Le gouvernement  motive cette décision par  l’exportation incontrôlée de ces produits hors des frontières togolaises.

Le respect de cette mesure sera assuré et surveillé par les services compétents des ministères chargés du commerce, de l’agriculture, des finances et de la sécurité, indique en outre le communiqué du gouvernement.

Avant la prise de cette décision, le ministre en charge du Commerce, Kodjo Adédzé, a procédé à une descente sur les marchés, afin de  sensibiliser les opérateurs économiques contre l’augmentation unilatérale des prix. « Il faut s’assurer que les prix sont respectés et que les populations n’ont vraiment pas de difficultés d’accès aux denrées de première nécessité. Il faut éviter des spéculations qui sont en fait nuisibles aux populations » avait-il déclaré.

La société civile s’émeut

Les différentes initiatives  entreprises par le gouvernement sont jugées insuffisantes par  plusieurs regroupements de la société civile.  A  l’instar de la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT), qui soutient la revue à la baisse des prix de produits pétroliers.

« Il faut nécessairement annuler les augmentations effectuées sur les produits pétroliers et de péage car elles ont été un élément déclencheur de la hausse des prix de première nécessité. Il faut donc qu’une revue à la baisse des prix soit effectuée. Ceci va également obliger les opérateurs à annuler les augmentations et progressivement, on reviendra à la normale », propose Emmanuel Sogadji, président de la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT).

« Notre peuple souffre ; personne ne l’ignore. Il importe de regarder avec attention les situations qui préoccupent les citoyens pour y apporter des solutions appropriées », a lancé pour sa part la Conférence des Evêques du Togo (CET).

Pas de retour à la normal à court terme

La baisse des prix des produits alimentaires de base notamment les céréales n’est pas envisageable à court terme.  La tendance haussière  devrait être maintenue au moins  jusqu’au mois d’août. C’est ce qui ressort des estimations de la DSID pour le maïs qui reste l’un des produits céréaliers les plus consommés et les plus cultivés.

La baisse attendue sera tout de même en hausse par rapport à l’année 2020 et à la moyenne des prix du maïs sur les 5 dernières années (2016-2020).