Agriculture : en manque de main d’œuvre

0
206

L’agriculture togolaise, pilier de l’économie nationale, affiche des performances encourageantes, notamment dans le segment des cultures vivrières. Les données les plus récentes du ministère de l’Agriculture confirment cette tendance, témoignant d’une production relativement stable, voire en hausse dans certaines zones. Mais derrière ces chiffres rassurants se cache une réalité plus préoccupante : un déficit croissant de main-d’œuvre, aggravé par les effets du changement climatique. Une situation qui, si elle perdure, pourrait compromettre la sécurité alimentaire du pays.

Avec plus de 60 % de la population active employée dans le secteur et une contribution estimée à 40 % du produit intérieur brut (PIB), l’agriculture demeure un levier économique essentiel. Pourtant, le manque de bras valides dans les champs devient un frein de plus en plus lourd à porter.

Ce phénomène, en constante aggravation, touche toutes les étapes de la production et alimente une inquiétude croissante chez les agriculteurs. La principale cause identifiée est l’exode rural massif, soutenu par l’attrait des centres urbains et une désaffection profonde des jeunes pour les activités agricoles. Si les données chiffrées font défaut, les témoignages convergent vers un constat clair.

Dans de nombreuses localités rurales, les départs sont devenus monnaie courante. Les familles se divisent, les exploitations sont délaissées. À Kpélé-Bodjé, dans la région des Plateaux, Dové, 24 ans, a quitté ses parents et leurs terres pour s’installer à Kpalimé, où il exerce comme conducteur de taxi-moto. « Ici, la vie est difficile, mais je préfère ça aux champs », confie-t-il. Un choix partagé par de nombreux jeunes, souvent peu préparés à affronter le coût de la vie urbaine et les incertitudes du secteur informel. Résultat : les tâches agricoles ne suivent plus. Moins de bras pour les semis, le sarclage ou la récolte, des surfaces cultivées qui diminuent, des délais non respectés.

À Lavié, non loin de Kpalimé, Bandélé, exploitant de maïs sur cinq hectares, a vu sa production chuter d’une tonne l’an dernier. « Mes deux fils sont partis à Lomé. Sans eux, je n’arrive plus à faire comme avant », déplore-t-il.

Une image dévalorisée de l’agriculture

Au-delà des départs volontaires, c’est l’image même de l’agriculture qui est en cause. Nombre de parents, eux-mêmes cultivateurs, ne souhaitent pas que leurs enfants prennent la relève. L’agriculture est perçue comme une activité pénible, peu rentable, voire synonyme d’échec social. Ali Boukari, agriculteur dans la commune Ogou 2, est catégorique : « Mes parents étaient cultivateurs, moi aussi. Mais mes enfants, jamais. Ils doivent aller loin, faire des études et réussir. » Il finance d’ailleurs l’éducation de ses enfants, avec l’objectif affiché de les envoyer poursuivre leurs études à l’étranger. Pour d’autres, la responsabilité incombe à l’État.

« On nous demande de scolariser les enfants, c’est bien, mais qu’on nous aide aussi à continuer de produire sans eux », plaide Oscar, cultivateur dans la même région. Une demande qui fait écho à un besoin de soutien structurel pour compenser la perte de main-d’œuvre familiale.

Une hausse des coûts et un risque de dépendance

Cette raréfaction des travailleurs agricoles se traduit directement par une augmentation des coûts de production. Les dépenses journalières explosent, les métayers se font rares, et les petits exploitants doivent faire face à des charges croissantes alors même qu’ils peinent à accéder aux intrants, aux crédits et aux débouchés.

« La situation pourrait déboucher sur une dépendance accrue aux importations alimentaires, notamment en céréales, légumes ou produits de rente. Une évolution qui alourdirait la balance commerciale et exposerait le pays aux aléas des marchés mondiaux », alerte un économiste. Par ailleurs, le vieillissement de la population agricole devient une autre source d’inquiétude.

Les jeunes délaissent les champs, et ceux qui restent sont souvent peu enclins à adopter de nouvelles pratiques ou à expérimenter des technologies agricoles modernes. « Le secteur perd ainsi en dynamisme et en résilience », déplore l’économiste.

Des chaînes de valeur fragilisées

L’impact du manque de main d’œuvre dépasse le seul champ de la production. Toute la chaîne de valeur agricole est affectée : transformation, conditionnement, stockage, commercialisation. L’efficacité du système agroalimentaire en est réduite, avec des conséquences directes sur la compétitivité du secteur.

Les filières d’exportation, comme le coton, le café, le cacao ou l’anacarde, sont particulièrement vulnérables. Ces cultures exigent une main-d’œuvre nombreuse et ponctuelle. Si les producteurs ne trouvent pas suffisamment de travailleurs lors des périodes critiques, les récoltes sont compromises, et avec elles, les revenus des producteurs et les recettes d’exportation.

Dans certaines régions, la concurrence pour les rares ouvriers disponibles entre exploitations agricoles, ou entre agriculture et secteurs comme le BTP ou les services, engendre des tensions locales. La migration massive des jeunes accentue également le déséquilibre entre zones rurales et urbaines, avec des répercussions socioéconomiques à long terme.

La mécanisation, solution à double tranchant

Face à cette crise structurelle, la mécanisation est souvent présentée comme une réponse incontournable. En remplaçant les efforts humains par des machines telles que les tracteurs, semoirs, moissonneuses, décortiqueuses, la mécanisation permet de couvrir de plus grandes surfaces en moins de temps, tout en allégeant la pénibilité du travail agricole.

La mécanisation permet aussi une meilleure ponctualité dans les opérations agricoles, un respect des calendriers et, potentiellement, une amélioration des rendements. Elle ouvre également la voie à de nouvelles activités économiques : vente, location, maintenance, formation… Autant d’opportunités pour revitaliser les économies rurales. D’avis des agriculteurs, « elle pourrait même, à terme, redonner de l’attractivité au métier d’agriculteur, notamment pour les jeunes ou les femmes, en réduisant la pénibilité physique du travail ». Mais encore faut-il qu’elle soit accessible et bien encadrée.

Des limites persistantes au Togo

Dans les faits, les contraintes sont nombreuses. La majorité des exploitants togolais sont de petits producteurs, souvent incapables de financer l’achat ou l’entretien de matériel. Les centres de services mécanisés restent peu nombreux et géographiquement concentrés. Les champs, morcelés et difficilement accessibles, ne se prêtent pas toujours à l’utilisation d’équipements lourds.

L’absence de formation technique constitue un autre obstacle majeur. La conduite, l’entretien et la réparation des machines exigent des compétences spécifiques. Mal maîtrisées, ces machines s’abîment vite, tombent en panne ou sont mal utilisées, réduisant considérablement leur efficacité.

Même en cas de subventions, l’entretien reste coûteux, et le manque d’infrastructures de maintenance en zone rurale freine le développement du parc mécanique. Il existe également un risque d’exclusion : si seuls les agriculteurs les mieux dotés peuvent s’équiper, la mécanisation pourrait aggraver les inégalités au sein du monde rural.

Une réponse partielle à une crise globale

« Oui, la mécanisation peut jouer un rôle clé dans la réponse à la pénurie de main-d’œuvre. Mais elle ne peut être envisagée comme une solution unique » confie un producteur de riz. Pour lui, « elle doit s’intégrer à une politique globale, cohérente et inclusive, qui associe accès équitable aux équipements, accompagnement technique, financement adapté, regroupement des producteurs et rénovation des infrastructures rurales ».

La mécanisation doit également cohabiter avec d’autres approches : agroécologie, digitalisation, agriculture intelligente face au climat. Seule une combinaison de leviers permettra au Togo de préserver son agriculture, de renforcer sa sécurité alimentaire et de créer de nouvelles perspectives pour sa jeunesse rurale.