La question du cadre réglementaire des Organisations Non Gouvernementales au Togo

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A  Pya dans le nord du pays, le lundi 26 juillet 2021, le gouvernement togolais a pris une importante décision concernant les Organisations Non Gouvernementales. Le communiqué issu de ce Conseil des ministres indique aux points pertinents que : « compte tenu du contexte d’intervention des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et de la nécessité pour l’État d’assurer le contrôle, la transparence et l’efficience de leurs actions, il est apparu nécessaire d’actualiser le cadre règlementaire. Il s’agira essentiellement de renforcer les résultats des interventions des ONG en les alignant sur les priorités du gouvernement. » Pour exécuter cet agenda, le gouvernement a décidé de suspendre l’attribution et le renouvellement des agréments.

Il faut reconnaitre que l’intervention gouvernementale était devenue nécessaire et le communiqué a bien circonscrit la nécessité d’actualisation du cadre règlementaire ou la pratique gouvernant  ce secteur. Il est incontestable que les ONG sont importantes mais il est aussi important que les conditions soient créées pour une optimisation de leurs apports économiques et sociaux aux bénéfices des populations togolaises. Cela ne peut se faire que par l’actualisation des textes et du cadre institutionnel.

Pour cela,  il  est utile  de clarifier la notion d’ONG pour éviter que la confusion qui règne autour de cette notion ne constitue au Togo un écran qui mette à  mal ce projet gouvernemental de réorganisation du secteur des Organisations Non Gouvernementales.

Il paraît aussi nécessaire  d’une part, de faire une analyse des points pertinents du décret N° 92-130/PMRT fixant les conditions de coopération entre les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et le Gouvernement en relevant les faiblesses de ce texte et d’autre part, de faire quelques recommandations notamment  sur le cadre règlementaire en projet et  suggérer la mise en place d’un régime juridique des fondations.

La notion d’organisation Non Gouvernementale (ONG)

Le décret N° 92-130/PMRT fixant les conditions de coopération entre les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et le Gouvernement en son article 1er considère comme ONG les associations nationales, internationales et étrangères. A l’analyse de la doctrine existante sur la notion, il est constaté que le concept ONG contrairement à la notion association, n’est pas un concept juridique. En France par exemple, il  n’existe aucune définition juridique claire, ni en droit français, ni en droit international, de la notion d’ONG.

Ce concept est plutôt une notion descriptive. Elle permet simplement de dire qu’une association n’est pas créée par le gouvernement mais par des entités privées. Cette notion n’emporte donc pas une nature juridique ou un régime juridique comme c’est le cas du concept association. Une ONG est une association et toute association est une ONG. Dans la pratique largement répandue, il n’existe pas de formalités particulières à accomplir par une association pour devenir ONG puisqu’une association est une Organisation non gouvernementale.

Partout ailleurs, le concept d’association est de moins en moins utilisé au profit de la notion d’ONG. Il existe des concepts proches comme : BINGO (big international NGO, INGO : International NGO, ENGO Environnemental NGO, etc ) qui ont été développés à partir de la racine NGO. Toutefois ces concepts permettent uniquement de les catégoriser par secteur d’activité.

Etat des lieux des textes régissant le secteur au Togo

L’état des lieux indique d’une part, que la création des associations au Togo est toujours soumise à la loi française de 1901. Ce faisant,  le Togo n’a pas su s’adapter aux mutations importantes qu’a connues  le secteur. Le décret de 1992 a créé une passerelle pour passer d’association à ONG.  Dans la lettre et l’esprit de ce décret,  une association doit être formée et plus tard devenir ONG si certaines conditions sont remplies. Ce décret consacre donc une distinction entre une association  et une ONG dans le droit Togolais.  L’une des difficultés avec cette posture du droit togolais est qu’il n’a défini ni la nature juridique ni le régime juridique d’une ONG. Ce qui donne au contrat associatif entre plusieurs personnes, une personnalité juridique, c’est le récépissé que lui délivre l’administration. Est-ce que cette personnalité juridique initiale évolue quand l’Association devient une ONG par exécution  de nouvelles formalités ou assistons-nous à  la naissance d’une nouvelle personnalité juridique ? Autant de questions qu’on pourrait se poser à l’analyse de cette mutation inscrite dans le décret togolais surtout par rapport aux ONG nationales.

Le décret de 1992 aborde aussi en son article 1er, alinéa 1 titre I, la qualité des personnes pouvant être dans une ONG : « ..créées par l’initiative privée, regroupant des personnes privées physiques ou morales, non commerciales… ». L’exclusion des personnes commerciales de la qualité de membre d’une ONG ne s’explique pas juridiquement. Ces personnes peuvent créer une ONG pour mener ensemble par exemple des actions de charité, ou pour organiser des activités sportives entre leurs employés.  La seule obligation serait de ne pas en faire des associations à but lucratif. Dans le même alinéa, il est mentionné « …exercer une activité d’intérêt général, de solidarité ou de coopération bénévole pour le développement ». Le caractère bénévole doit être revisité et défini dans le cadre de ce décret parce qu’une activité d’une association peut être non lucrative mais pas forcément bénévole.

L’aliéna 1 introduit également la notion d’intérêt général comme critère associé à l’activité de l’ONG. Sans vouloir débattre de cette notion qui se justifie dans le cadre d’un type d’association, mais pas dans toutes les associations, il est important de relever que toutes les associations ne sont pas alignées sur l’intérêt général entendu au sens large. Il est important pour recouper la réalité des associations de préciser aussi que les activités d’une association peuvent viser l’intérêt privé ou particulier de ses membres. Par exemple,  une association des supporters d’un club de sport, de famille ou un club privé.

L’alinéa 1 de l’article 1er distingue  par ailleurs entre ONG nationale, internationale et étrangère. L’ONG nationale est distinguée par le fait qu’elle a son siège au Togo et la moitié au moins des administrateurs et des membres sont des Togolais. L’ONG internationale  est celle accessible aux sujets et aux collectivités de plusieurs pays. L’ONG étrangère est une association qui a son siège à  l’étranger, ou qui ayant son siège au Togo est dirigée, en fait, par des étrangers ou bien a soit des administrateurs étrangers soit un quart au moins des membres étrangers.

Le décret de 92 a opté pour une distinction des ONG fondée soit sur l’origine des promoteurs et/ou le siège. Cette méthodologie juridique de détermination est complexe et rend difficile la distinction des ONG. Cette classification rend difficile la catégorisation des ONG surtout celles avec une extranéité.  Aujourd’hui,  les personnes portent plusieurs nationalités et le siège d’une ONG peut être déplacé pour plusieurs raisons. Cette classification ONG étrangère et ONG internationale par le décret de 92 vient compliquer le cadre règlementaire des ONG. Elle est aussi lourde et complexe.

Une démarche qui sera fondée sur une classification basée  sur le siège principal pour déterminer si une ONG est nationale ou internationale sera plus fonctionnelle. En réalité,  pour les ONG, le caractère international ne vient pas de la composition des membres ou des conseils d’administration. Elle relève d’ une décision  des promoteurs de l’ONG d’entreprendre des activités au-delà de la juridiction nationale sous la loi de laquelle elle a été créée ou de la décision des promoteurs de considérer l’ONG comme internationale.

Il n’y a en principe pas des conditions de création distinctes entre les ONG  nationales et celles internationales dans un pays. Il n’y a  pas en principe un double régime juridique qui serait applicable à l’une ou à l’autre.

Toutefois,  dans plusieurs pays, pour des raisons de contrôle, les activités d’une association dans d’autres pays, ou à l’international sont soumises  à des autorisations ou à  des déclarations aux autorités du lieu de création. Ce ne sont pas ces autorisations ou ces déclarations,  ni la composition du conseil d’administration ou des membres qui font de cette ONG dans le pays d’accueil une ONG internationale. C’est le pays d’accueil qui peut caractériser cette ONG d’internationale parce qu’elle est créée conformément aux lois d’un autre pays.

Pour éviter une quelconque confusion, il serait souhaitable que dans les textes à  venir,  soit retenue une classification des ONG en deux groupes, ONG nationale et ONG internationale et abandonné le concept « ONG étrangère ».  Sur cette base, sera donc internationale une ONG qui pourra établir qu’elle a travaillé au moins pendant un certain nombre d’années (5 ans par exemple) dans plus de deux pays ou elle est créée sur le fondement des textes d’un autre pays.  Cette classification suggérée non seulement introduira une prévisibilité et une lisibilité dans la création et la gestion des associations au Togo mais aussi aura l’avantage de supprimer les difficultés qu’ont actuellement les ONG non nationales à se classer en étrangères ou internationales.

Cette classification mis à part le fait qu’elle informe sur l’origine (nationale ou internationale),  ne devrait pas procurer un avantage particulier a une catégorie d’ONG sur une autre. La condition dans le décret de 92 qui impose un certain temps d’activité pour apprécier le respect du cahier des charges doit être  maintenu. Ceci invite donc à la création de deux classes pour les ONG (ceci n’a rien à  avoir avec la classification basée sur l’origine). La Classe A et la Classe B.

L’ONG nationale créée ou celle internationale qui demande à s’installer au Togo commence en Classe B pour une période de deux ans avec une autorisation temporaire d’exercice en qualité d’ONG. Durant ce temps,  elle exécutera son cahier des charges  et le gouvernement pourra apprécier son sérieux sur le terrain. Si le cahier de charge est effectivement exécuté, elle pourra passer en Classe A où il lui sera accordé le statut définitif d’ONG avec accord de siège après soumission d’un nouveau cahier des charges discuté  avec le gouvernement.

Un autre point  très important sur lequel l’accent doit être mis,  est la précision  à apporter au  régime attenant à l’obtention de l’accord de siège avec le gouvernement,  c’est-à-dire les avantages qui viennent avec le statut d’ONG. La situation actuelle donne l’impression d’une attribution à la tête du client. Il est donc nécessaire que tous les avantages fiscaux, douaniers et tous les autres avantages soient clairement définis.

Par ailleurs,  il est aussi important de relever que des fondations sont créées au Togo bien que ce cadre ne soit pas encore réglementé. Il serait bénéfique  que cet  outil  soit développé dans le cadre de l’actualisation du cadre règlementaire pour le mettre au service de l’optimisation économique et sociale du secteur.

La nécessite d’une loi globale portant règlementation des ONG  et fondations au Togo

Le diagnostic que le communiqué du gouvernement  a posé durant son Conseil des ministres à  Pya  est réel et vient à point nommé pour introduire un cadre règlementaire à  même de lui permettre de créer une vie associative dynamique au Togo,  qui sera en harmonie avec son plan de développement. Ce cadre règlementaire, s’il est permis d’espérer,  prendra en compte les paramètres internationaux et locaux, introduira un conseil d’administration obligatoire dans les statuts des associations, la création d’une agence autonome de l’État  à l’image du Centre de Formalités des Entreprises (CFE) comme  un guichet unique des ONG  au Togo. A l’instar des ONG,  les fondations sont d’utilités inégalées dans les actions des philanthropies.

L’obligation d’un Conseil d’administration au sein des ONG  nationales ou internationales

Mme Ngozi okonjo iweala, actuelle Présidente de l’Organisation Mondial du Commerce (OMC) avait soutenu, en novembre 2019 lors d’un Ted show qu’il était important que les ONG  qui travaillent en Afrique aient dans leur conseil d’administration des représentants africains (pas des représentants de l’administration ou des politiciens). Pour elle,  cela avait un sens parce que les populations qui sont aidées ou au nom desquelles ces ONG parlent (font des appels de fonds) avaient un mot à dire par rapport à leurs besoins. Ceci est important surtout pour les ONG internationales en ce sens que cela permet aux populations d’être représentées dans les structures qui parlent d’elles sur le plan national ou international. Aucune ONG  qui travaille effectivement pour le bien d’une population ne saurait se  soustraire à cette représentation locale des populations dans son  Conseil d’administration. D’ailleurs,  cette option existe déjà dans le décret N° 92-130/PMRT. Elle ne demande qu’à devenir obligatoire. Sur le plan local,  il est aussi très important que les ONG  nationales aient un Conseil d’administration qui contienne des représentants des populations pour lesquelles  elles interviennent. Ceci aura un effet positif sur leur administration et sur leur gestion en termes de contrôle de la gestion pour les organes de direction.

La création d’un centre de formalités des ONG  : CF-ONG

Actuellement,  l’essentiel des formalités des ONG  est placé  sous les ministères de l’Administration territoriale, de  l’Economie et des Finances,  des Affaires étrangères  et de la Coopération ainsi que celui du  Plan. La plupart des demandes de reconnaissances des ONG débutent au ministère de l’Administration territoriale. Ce dernier après étude, si le dossier n’est pas rejeté, prend un arrêté pour reconnaitre l’entité. Après,  le promoteur doit s’adresser aux autres ministères. L’éclatement des formalités entre plusieurs ministères est un véritable parcours du combattant. Ceci complique les formalités et rend peu attractif  le Togo comme, une destination privilégiée des ONG. De fait,  il y a plusieurs ONG qui préfèrent s’installer ailleurs ou sous traitent leurs activités au Togo.

Il est important pour le gouvernement de revoir dans l’esprit de son agenda sur les ONG,  non seulement  le cadre juridique matériel mais aussi le cadre organique.  Les Organisations non gouvernementales sont devenues des acteurs économiques et sociaux importants qui aident les gouvernements du monde à faire face à de nombreux défis et sans cesse croissants. Ailleurs, les gouvernements leur délèguent même  certaines de leurs missions en créant un certain partenariat avec elles sur des projets. Il est recommandable que le gouvernement leur consacre une institution à  l’image du CFE (Centre de Formalités des Entreprises), un guichet unique, un Centre de Formalités des ONG (CF-ONG).

Ce dernier prendra en  compte toutes les missions démembrées au niveau des quatre  ministères  (Administration territoriale, Economie et Finances, Affaires étrangères et Coopération, Plan,  (les ambassades)). cette institution continuera à bénéficier de l’assistance technique des ministères. Sur le plan opérationnel, le centre aura  la responsabilité de la réception des dossiers de demandes d’enregistrement, de leur étude et de la délivrance des autorisations. Cette même structure peut  faire le suivi des ONG. Elle veillera au respect des cahiers des charges, aux contrôles des activités  et des transactions et à  la réception ainsi qu’ à la validation des rapports annuels.

Dotée d’un personnel qualifié et professionnel, équipée d’un système moderne de gestion, elle recevra les demandes de création ou de reconnaissance des ONG  au niveau national et international via son site internet. Ceci sera particulièrement intéressant pour les zones de l’intérieur  du pays également et les ONG internationales qui auront un répondant.

Son budget autonome pourra être financé  par les frais d’enregistrement des ONG (association), des frais de visa sur les rapports annuels, des frais de services additionnels et d’une dotation budgétaire annuelle de l’État. Seule une structure de ce genre à même d’offrir une prestation de qualité répondant aux normes internationales sera à même d’attirer les ONG internationales au Togo.

Aujourd’hui, dans l’état actuel des choses, les carences du cadre règlementaire et organique et les problèmes de personne durant les formalités d’installation sont autant d’handicaps auxquels les promoteurs d’ONG font face. Le gouvernement togolais a , à juste titre,  perçu le problème. Au Togo, il serait plus facile de créer une société qu’une ONG.

De la nécessite d’inclure le régime juridique des fondations dans le cadre règlementaire  à venir  portant ONG

Les fondations sont des organisations non gouvernementales dont l’apport est très important pour le financement des écoles, hôpitaux, universités, des orphelinats, des bibliothèques, des projets sociaux, bourse pour les étudiants, etc. Il y a celles qui sont des fondations privées et celles qui sont publiques  (public charity).

Les fondations privées comme celle de Miranda & Gate sont financées  par une seule personne ou un couple. Celles-ci ne reçoivent en principe pas de dons du public. Habituellement,  ce sont des philanthropes qui sont engagés pour une cause. Toutefois ce qui rend intéressante cette forme pour ses promoteurs,  ce sont les avantages fiscaux que l’État leur accorde. Le montage et la structuration des fondations doivent être très réglementés  pour éviter des fraudes fiscales, l’ évasion fiscale et autres blanchiments possibles.

* Dr. BITHO est un Conseil, un Arbitre commercial et d’investissement, un Enseignant-chercheur diplômé de l’École de droit d’Austin au Texas (États-Unis), de la Faculté de droit l’Université ParisI Panthéon Sorbonne (France) et de la Faculté de droit de l’Université de Lomé (Togo). Il pratique l’arbitrage international et cumule plusieurs années d’expérience dans le conseil et l’assistance des investisseurs dans le montage et la structuration des Partenariats Public Privé et des grands projets, la Fusion & Acquisition des sociétés, l’installation des câbles sous-marins, le Commerce international, les Méthodes Alternatives de Résolution de Disputes (MARD).

Titulaire d’un certificat en contentieux internationaldevant la Cour Permanente d’Arbitrage (PCA) délivré par la célèbre Université de Leiden (Pays-Bas), il détient également un certificat sur le contentieux du droit de la mer, de l’Université de Kiel (Allemagne) et un Certificat sur les techniques de négociation persuasive de l’Université de Yale (États-Unis). Au plan communautaire, Docteur BITHO est inscrit sur la liste des arbitres OHADA. Sur le plan national, il figure sur la liste des arbitres de la Cour d’Arbitrage et de Médiation du Togo (CATO).

Dr. BITHO est également auteur  du  livre : « La Protection des secrets commerciaux dans l’arbitrage commercial international »  publié aux Éditions Universitaires Européennes. Parfait bilingue et produit de plusieurs systèmes, il est une passerelle entre différents systèmes juridiques.