Plus le suspense dure, plus s’allonge la liste des premiers ministrables, « supposés », « possibles » et « probables ». De Sélom Klassou à Gilbert Houngbo, en passant par Victoire Dogbé, Yaya Sani voire Gilbert Bawara etc., ce ne sont pas les atouts qui manquent. La république ne s’étoufferait pas de scandale si un de ces noms l’emportait, la compétence et les qualités intrinsèques de chacun d’eux ne pouvant être remises en cause. Mais on le sait, un seul survivra à la fin, conformément à la volonté du Président de la République qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution est l’unique attributaire des prérogatives de nomination du Premier ministre. Et en la matière, il a souvent déjoué les pronostics en choisissant des outsiders voire des inconnus, comme Komlan Mally en décembre 2007, Gilbert Houngbo en septembre 2008, Arthème Ahoomey-Zunu en juillet 2012, Komi Sélom Klassou en juin 2015 qui tous, avaient la particularité de ne pas avoir la faveur des pronostics. Et si Faure Gnassingbé respectait une fois encore ses habitudes, en portant son choix sur cette personnalité, peu connue du Togolais lambda, mais bien appréciée dans les milieux financiers ?
Ils sont une demi-douzaine à avoir les faveurs de la presse pour succéder à Sélom Klassou à la Primature dans les prochains jours. Si l’actuel locataire de la Villa de la Cité de l’OUA est toujours sur la liste malgré les critiques, c’est bien parce qu’au-delà de la lecture partiale et délibérément sévère que font ses contempteurs de son bilan, on peut lui concéder d’avoir tenu le gouvernail sans jamais montrer une once de panique au plus fort de la tempête de 2017, avec les violentes manifestations initiées par le Parti national panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam. A son crédit au titre de chef de la majorité, trois victoires de rang dont les élections législatives en 2018, locales en 2019 et présidentielle de 2020. Au surplus, il serait paradoxal de considérer que le chef du gouvernement qu’il fut, ne devrait tirer aucun parti des bons résultats sur bien de plans ces 5 dernières années.
Cependant, sa longévité et justement tous les combats politiques, électoraux, économiques et sociaux pour lesquels il fut au front, ont dû entamer son énergie. C’est en tout cas l’analyse de ceux qui militent pour un renouvellement, surtout dans une situation où la relance économique sera au cœur de l’action gouvernementale dans le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID-19. C’est cette considération qui fait le lit de Victoire Dogbé, Sani Yaya, ou encore de Gilbert Houngbo. Tous les trois sont ou ont été au cœur du dispositif programmatique du président de la République ces dernières années, avec des résultats probants. Leur compétence et leur fidélité ne souffrent d’aucune contestation et ils ont en plus, cet avantage d’avoir quelques réseaux sur le plan international. Mais Faure Gnassingbé sautera-t-il le pas en portant pour la première fois une femme à la tête du gouvernement, après en avoir mis une au perchoir de l’assemblée nationale? Mais surtout, se priverait-il d’un atout-maître dans sa bataille pour l’inclusion des groupes vulnérables et sa volonté d’assurer durablement un accès universel au minimum vital de toutes les communautés et organisations à la base dans leur pays, et au cœur duquel se trouve le ministère du Développement à la base que dirige Mme Dogbé ? A moins d’en cumuler les deux ?
Après une première expérience entre 2008 et 2012, Gilbert Houngbo s’occupe désormais du Fonds international de développement agricole (FIDA). Pas sûr qu’il ait très envie de replonger de nouveau et aussi tôt dans la mare à crocodiles du microcosme politique togolais, malgré sa proximité restée intacte avec le Chef de l’Etat et sa popularité tout autant peu entamée auprès de l’opinion.
L’actuel ministre de l’Economie et des Finances Sani Yaya a tout pour le poste : rigoureux, travailleur, très apprécié de Faure Gnassingbé pour sa discrétion et sa fidélité. Les réserves émises dans les milieux initiés tiennent à son manque d’initiative, décrit comme celui qui ne veut pas bouger pour ne pas commettre de fautes. S’ils sont très nombreux à qui ce reproche peut être fait, son profil non politique peut lui être fatal à l’heure du choix ; le pays n’étant pas totalement à l’abri de soubresauts ou de rebonds politiques, même si l’opposition semble avoir complètement sombré aujourd’hui, entraîné dans une aventure suicidaire par l’hétéroclite Dynamique Kpodzro.
Quant à Gilbert Bawara, il aurait été le grand favori sous beaucoup de cieux et dans des contextes politiques similaires. Compétent, maîtrisant ses dossiers, capable de passer du purement politique aux sujets économiques sans bégayer, l’actuel ministre de la Fonction publique est presque le candidat naturel à ce poste. Sa loyauté n’est pas à démontrer ; les contempteurs de Faure Gnassingbé pouvant le confirmer, à leurs dépens. Paradoxalement, sa grande proximité avec le Chef de l’Etat constitue son principal handicap, ne pouvant plus à ce poste, avoir le recul nécessaire pour lui faire profiter ses précieuses analyses. Mais surtout, le fait qu’il soit de Siou, dans la région de la Kara, le disqualifie quasiment au nom du principe non écrit qui veut que le Président de la République et son Premier ministre ne soient pas issus de la même région.
Abidjan, en attendant Lomé
Si les analyses ci-dessus étaient partagées à l’heure de la décision, celle-ci pourrait probablement porter sur l’un des Togolais contemporains les plus prestigieux. Et pour cause. La pandémie de la COVID-19 a considérablement ralenti les activités économiques mondiales et celles du Togo. Nécessairement, elle impactera le Plan national de développement élaboré pour bâtir une économie moderne et résiliente dans notre pays. La mobilisation des énergies pour retrouver le dynamisme mis à rude épreuve par la crise sanitaire, ne peut efficacement se construire qu’autour d’un profil de leader, capable de structurer nos besoins en financement et de les mobiliser de façon efficiente.
« L’homme surprise» grâce à ses fonctions et son expérience, a la parfaite maîtrise des mécanismes pouvant favoriser la relance de notre économie à travers notamment les marchés de capitaux. Au surplus, il a été porté le 1er avril dernier à la tête d’une association continentale avec pour haute responsabilité de coordonner les actions boursières africaines face à la pandémie, ainsi que l’exécution de la stratégie post-crise. Il a par ailleurs la charge de mener le plaidoyer pour la profondeur de la liquidité sur les marchés africains à travers les privatisations et le renforcement des capacités des acteurs de l’écosystème.
Ce quinquagénaire, titulaire d’un Doctorat en Sciences de l’Administration (option Finance) au Canada, dirige depuis 2012 une place financière importante dans la zone UEMOA et dont il a été le grand architecte de la renaissance. Membre depuis 2012 du Comité Exécutif de l’African Securities Exchanges Association (ASEA), il est auréolé de plusieurs distinctions dont celui du Grand Prix de l’intégration économique, et classé il y a 5 ans parmi les Cent (100) personnalités qui ont influencé l’actualité économique et financière en Afrique, par le Magazine « Financial Afrik ». Faure Gnassingbé avec lequel il entretient de cordiales relations, l’a fait Officier de l’Ordre du Mono.
Ces détails sur « l’homme surprise » ne devraient plus laisser beaucoup de suspense sur son nom ; vous l’avez sans doute deviné.