Une page se tourne

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L’homme discret des allées du pouvoir a tiré sa révérence.

Il était l’un des derniers dinosaures Francs-Maçons de l’Afrique de l’Ouest. Avec lui, toute une partie de la mémoire de la Franc-Maconnerie Ouest Africaine s’en est allée.

Le TRGM (Très Respectable Grand Maitre) CLOMEGAH vogue désormais vers l’Orient Éternel.

Sans polémique aucune, et sans aucune envie de provocation, qui était Ignace CLOMEGAH ? À vous lecteur de ce questionnement, Il ne s’agit pas d’un hommage.
Il n’est question ici que de témoignage, d’une libre expression qui n’engage que moi. Ce qui rend définitivement d’ailleurs irrecevable tout procès en illégitimité et/ou en impartialité.

L’homme était discret, d’allure longiligne, comparable à un dandy avec un charisme qui impose le respect. Il était sec, secret d’apparence sévère. J’en avais déduit les traits d’une vie de travail, de rigueur, d’authenticité et surtout de férocité tel un félin gracieux.

J’avais fait la connaissance du TRGM CLOMEGAH dans un avion entre Lomé et Abidjan. Il m’avait pris pour mon frère aîné Jean-Claude Edoh.
C’était d’abord une banale discussion avec un monsieur, qui jusque-là m’était inconnu. Une interaction sociale de la bienséance très convenue, nécessaire et indispensable à laquelle je me prête toujours de mauvais cœur. En effet les mondanités sont un exercice pénible que je redoute foncièrement, surtout quand je ne connais pas mon interlocuteur.

Mais d’emblée, le niveau intellectuel, culturel et surtout l’ouverture d’esprit de mon contradicteur m’avaient fasciné. Un plaidoyer sans concession, sur les forces, les faiblesses de l’Afrique dans ce siècle de grandes et profondes mutations.  L’homme était calme, glacial, méthodique, structuré, déterminé et très pugnace.
Le débat fut intense et d’une exceptionnelle qualité comme je les affectionne.

Son élégance physique, n’avait d’égale que son élégance intellectuelle. Il était tout aussi convaincant que séducteur. Oui, c’est là ma définition du Charisme.

Nous étions tombés d’accord sur un point à savoir qu’il faille se prévenir (surtout en Afrique) du populisme et toujours marquer à chaque instant si nécessaire la différence fondamentale entre la démocratie et l’ochlocratie. La foule n’a pas toujours raison. Mieux encore, Elle n’est pas le peuple.

Par la suite, j’ai appris que cette froideur, cette réserve, et cette sévérité de façade, n’étaient qu’un filtre indispensable à la stricte impérieuse nécessité pour lui de préserver son intimité.

Ignace CLOMEGAH était économe, voire avare de son mépris, étant donné le grand nombre de nécessiteux.
Il revendiquait et assumait le peu de partage de son intimité. Une intimité qu’il gardait jalousement pour les siens et les proches, en organisant des cercles concentriques très limités.

Je ne parlerai donc pas du Franc-Maçon. Je n’en suis pas digne.
Je n’évoquerai pas non plus l’homme de la symphonie des chiffres. Ce n’est pas mon monde.
J’effleurerai encore moins la densité de cet homme qui murmurait aux oreilles des puissants. Je ne suis point qualifié pour le faire.

L’homme était Protéiforme, complexe, dense et surtout assoiffé de connaissance.
Il était curieux, doublé d’un regard espiègle, malicieux et perçant. Un regard qui signe d’emblée une certaine distance avec les inconnus.
Il était d’une finesse d’esprit et d’analyse.
C’était un esprit aventureux. Un esprit de tous les défis.

Au delà de son vaste monde public, l’homme privé était un amoureux des sciences. Ignace CLOMEGAH vouait une profonde admiration pour la médecine et les soignants. Il était aussi un esthète, un amoureux du beau, des arts, et des lettres.
C’était surtout un vrai mélomane.
Cette finesse se retrouvait dans la sélectivité de son whisky (il était intarissable sur les origines et les différences qualitatives de ce breuvage qu’il soit Écossais ou Irlandais).
Cette finesse se déclinait aussi dans son mécénat et sa connaissance pour la peinture (Toute sa sensibilité se retrouve dans sa magnifique collection…).
Cette finesse se traduisait enfin et surtout par un humour ciselé, acerbe qui était son arme de déstabilisation massive.

Cet homme pudique commençait ses journées par quelques longueurs dans sa piscine, suivies d’une séance de Yoga.
Oui, l’Équilibre, entre le corps et l’esprit, est une force.
Une vie d’équilibre et de mesure pour un infatigable combattant.

In fine Ignace CLOMEGAH n’était que la synthèse d’un STOÏCISME et d’un ÉPICURISME heureux. Une synthèse qui passe forcément par l’atteinte du bonheur avec la satisfaction des seuls désirs naturels et nécessaires (La Nature en toute simplicité).
Une synthèse qui passe aussi par l’acceptation des événements (acceptation par le contrôle de nos réactions).
Une synthèse qui passe enfin par une conscience de la Place de la « NATURE » qu’il faut connaître et avec laquelle il faut tenter d’entrer en harmonie.

Pour être heureux, il faut simplement vouloir, puis accepter que les choses arrivent comme elles doivent arriver, et respecter l’Ordre Naturel des causes.

Ignace CLOMEGAH était un homme heureux pour le peu que j’ai connu de lui.

C’était mon grand maître, dans mon cheminement philosophique, spirituel, intellectuel et humain.
C’était mon grand frère dans l’accompagnement et l’accueil qu’il me réservait.
Et C’était mon ami de débat, de mémoire, de culture, de discrétion, et de silence.

Qui était donc Ignace CLOMEGAH ? À ce questionnement, je ne peux répondre que ceci :

C’était tout simplement un Homme profond, délicat et sensible.

Hommage de Dr Daniel-Kovi AYANOU à Ignace CLOMEGAH

Dr Daniel-Kovi AYANOU