Violences sexuelles sur mineurs : briser la loi du silence

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Des victimes à l'entrée du centre Kekeli

Les viols et agressions sexuelles sur mineurs sont perçus dans la plupart des cas par les parents ou les proches des victimes comme une honte ou un déshonneur. Aussi, recourent-ils souvent à un règlement à l’amiable pour éviter la propagation de l’information au sein de la communauté. Cependant, des psychologues aux acteurs de la société civile, en passant par les gynécologues, les sages-femmes ou encore les auxiliaires de justice, tous sont unanimes et ont une position sans appel : la loi doit sévir.

Statistiquement, peu de cas de viols sur mineurs sont portés devant les tribunaux. Les assises ouvertes devant la Cour d’appel de Lomé le 05 juillet dernier n’ont connu par exemple que 20 dossiers y relatifs. Un chiffre largement en deçà de la réalité.   Selon des témoignages recueillis par Focus Infos notamment auprès de KEKELI, un centre de prise en charge des enfants victimes de viols ou d’agressions sexuelles, de 2006 à 2020, 987 cas de violences sexuelles ont été enregistrés rien qu’à Lomé et dans la région Maritime. Dans le lot des victimes, 962 filles et 25 garçons, âgés de 20 mois à moins de 18 ans.

De janvier à juillet 2021, 50 cas parmi lesquels un jeune garçon ont été signalés au centre. L’équipe reçoit chaque mois en moyenne 6 mineurs victimes de viols. Un chiffre qui, selon la sœur Gabrielle Muntunkwaku, Carmélite de la Charité Vedruna et coordinatrice de KEKELI, a évolué pour s’établir entre 8 et 10, depuis la survenue de la pandémie du coronavirus et surtout avec la fermeture momentanée des écoles. On reste malgré tout loin de la réalité car la plupart des victimes s’enferme, seule, dans le silence, faute d’espaces pour en parler et en l’absence de personnes à qui se confier. D’autant plus que ce sont des actes souvent commis dans le cercle familial et dans l’entourage immédiat.

Des témoignages glaçants

C’est un fait qui nous est rapporté par la sœur Gabriella Muntunkwaku. Courant 2020, à Zanguéra, banlieue nord-ouest de Lomé, un directeur d’école a abusé sexuellement d’une fillette de 3 ans. La mère de la victime est revendeuse au sein de l’établissement. De fait, l’auteur manifestait beaucoup d’attention et d’affection à l’endroit de l’enfant. Personne ne pouvait imaginer que le sexagénaire nourrissait en réalité des intentions perverses et criminelles. Un jour, partie jouer avec ses copines, la petite fille a été invitée dans le bureau du directeur qui a abusé d’elle. « Quand la fillette est rentrée à la maison, elle s’est confiée à sa maman et a cité le nom du directeur qui a pris la fuite à l’arrivée de la police. Heureusement, il a été arrêté quelques mois plus tard, en pleine circulation à Lomé », relate la coordinatrice du centre KEKELI.

En 2018, c’est une fillette de 8 ans qui a été violée par un garçon d’une vingtaine d’années à Hahotoé, ville minière située au nord-est de Lomé. Elle n’a pas pu marcher pour regagner son domicile. La victime a été retrouvée par des villageois qui l’ont amenée à ses parents. Devant la gravité de l’acte, elle a été référée au centre KEKELI et envoyée au CHU Sylvanus Olympio.  « Elle a été déchirée par le garçon. Elle a dû subir deux opérations à l’hôpital »,  témoigne Kodjo Prosper Akpelassi,  agent social au centre KEKELI.

Si ces deux cas ont été commis hors du cadre familial, il n’en demeure pas moins qu’il arrive que les auteurs soient des parents biologiques des victimes, notamment dans les ménages monoparentaux. C’est l’exemple de Roumia qui a commencé à subir des actes de violences sexuelles dès l’âge de 9 ans. L’auteur n’était autre que son géniteur.  C’est un colocataire qui découvrira les faits lorsque la fille a eu 13 ans. Il ira dénoncer le père auprès du Service des Affaires sociales de Baguida (banlieue sud-est Lomé). Avec le concours du commissariat de la localité et sur enquête, celui-ci a été arrêté et sa fille placée dans un centre de protection pour mineurs.

Selon la sœur Mutunkwaku, les auteurs de ces actes se rencontrent dans toutes les couches socioprofessionnelles de la population. Toutefois, souligne-t-elle, le phénomène est plus prégnant chez les enseignants, les corps habillés, les conducteurs de taxi-motos, les agents de sécurité et les meuniers. « Quand les enfants vont chercher la farine, les meuniers leur disent de revenir le soir pour la récupérer.  Et c’est là qu’ils commettent l’acte », révèle-t-elle. Des motivations liées à des pratiques rituelles seraient parfois également à l’origine de ces actes.

Vent debout contre le règlement amiable

Face à ces actes criminels qui constituent de véritables drames pour les victimes, le premier réflexe de l’entourage est de recourir à un règlement amiable. Pour le Professeur Magloire Kuakuvi, docteur en Philosophie et consultant en Droits de l’homme et Démocratie, et coordonnateur diocésain du Conseil épiscopal Justice et Paix- Togo, cette démarche n’est pas adaptée à un acte qui handicape l’enfant à vie. « Il faut nécessairement passer par le tribunal qui peut exiger la prise en charge médicale et le suivi psychologique de l’enfant. Le règlement à l’amiable ne voit que le côté pécuniaire ou financier. Ceci, au détriment de l’enfant qui a été violé », estime-t-il.

Le Docteur Abram Amétépé Agossou, directeur de la Division Santé de la Mère et de l’Enfant (DSME) au ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de l’Accès universel aux soins partage également cette position.  Selon lui, les viols ne doivent en aucun cas être réglés à l’amiable. « C’est comme si la victime subissait une seconde injustice. Traiter cette question à l’amiable, c’est négliger le préjudice que l’enfant a subi. Au-delà du traumatisme physique, il y a un important traumatisme psychologique qu’il faut prendre en charge. Gérer à l’amiable, c’est négliger le droit de l’enfant d’une part et d’autre part, c’est encourager ce genre de comportements puisque l’auteur n’est pas poursuivi. Il peut récidiver », soutient-il. En outre, « c’est une grave erreur puisque dans la plupart des cas, les agresseurs ne vivent pas loin des victimes. Les parents doivent prendre leurs responsabilités en défendant l’enfant, en corrigeant le tort qui a lui été fait », conclut le médecin.

Pour sa part, Mme Assera Okpar, substitut du procureur de la République près du tribunal de Lomé, estime qu’il est très important de traiter ces affaires avec droiture pour à la fois rendre justice à la victime en question, mais également à tous les enfants.  « Ceci, pour décourager tout potentiel candidat à ces genres de crimes », a-t-elle signifié à la fin d’un procès ayant conduit à condamner, en juillet dernier, à 10 ans de réclusion criminelle, un enseignant volontaire accusé de crime de pédophilie sur une élève de 14 ans. Il s’agit pour la magistrate de faire des exemples.

Le dispositif répressif

La législation togolaise réprime sévèrement les agressions ou viols commis sur les mineurs. Aux termes de l’article 396 du Code de l’enfant voté en 2007, « constitue un abus sexuel sur un enfant le fait, par toute personne en situation d’autorité ou de confiance ou par toute personne à l’égard de qui l’enfant est en situation de dépendance, de soumettre celui-ci à des contacts sexuels. L’abus sexuel commis sur un enfant est puni de un (01) à cinq (05) ans d’emprisonnement ».

L’article 393 quant à lui définit la pédophilie comme « tout acte de pénétration sexuelle ou d’attouchement sexuel de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d’un enfant de moins de quinze ( 15) ans, ou encore toute exposition ou exploitation  à des fins commerciales  et touristiques de photographies, d’images et de sons obtenus par un procédé technique quelconque, de films ou dessins à caractère pornographique mettant en scène un ou plusieurs enfants âgés de moins de quinze (15) ans ».   Il est puni d’une peine de réclusion criminelle de cinq (05) à dix (10) ans lorsqu’il s’agit d’attouchement et de dix (10) à vingt (20) ans de réclusion lorsqu’il s’agit de pénétration. L’infraction n’est pas constituée si la différence d’âge entre l’auteur et la victime ne dépasse pas cinq (05) ans. Selon l’article 398, le viol consiste à imposer par fraude ou violence des relations sexuelles à autrui contre son gré.  Le viol commis sur un enfant sera passible d’une peine de cinq (05) à dix (10) ans de réclusion criminelle. Lorsque le viol est commis sur un enfant de moins de quinze (15) ans la peine est portée au double.

Une épreuve traumatisante

Selon le Professeur Sopho Boukari, gynécologue à la retraite, violer une fillette c’est la détruire complètement. « Encore plus, lorsqu’elle est vierge. Là, c’est une catastrophe », s’indigne le médecin.  Celui qui est également président de l’Association des Confessions religieuses du Togo pour la Santé et le Développement (ACRT/SD), indique qu’il peut avoir des déchirures aussi bien pendant la pénétration qu’avant puisque la victime se bat. D’autres traumatismes sont possibles et la jeune fille violée peut être sujette à des infections directes ou qui vont se prolonger. « Le rapport peut être par ailleurs fécondable et aboutir à une grossesse non désirée » précise-t-il.

Séance éducative au centre KEKELI

Pour Mme Héloïse Adandogou d’Almeida, présidente de l’Association des Sages-Femmes du Togo (ASSAFETO), violer une petite fille est un véritable drame. « Le viol, commis sur une personne adulte, est déjà très traumatisant pour celle-ci. Que dire, sur une   mineure, une enfant qui n’est pas encore épanouie sexuellement et qui est agressée ? C’est une mort psychologique » se désole-t-elle.   « Quand on porte atteinte à la dignité d’une petite fille et qu’on ne la répare pas, ça veut dire qu’elle est détruite à vie. C’est tout son potentiel qui est agressé. Elle sera bloquée », affirme celle qui préside également le Réseau des Organisations de la Société Civile pour la Santé de Reproduction et la Planification familiale (ROSCI-SR/PF Togo).

La sœur Gabrielle Muntunkwaku, coordinatrice du Centre d’accueil KEKELI évoque des cas où les enfants ont été mis sous traitement psychiatrique. « Certains se levaient à 3 heures du matin pour aller se doucher parce qu’elles se sentaient sales. Elles ne pouvaient plus s’asseoir à côté d’un homme », raconte-t-elle.   « Il y a une petite fille qui a été droguée et violée. Le jour où elle passait son baccalauréat, le surveillant est venu se pointer derrière elle. Cela a déclenché chez elle une crise d’angoisse et elle n’a pas pu terminer son examen », se souvient-elle.

Une prise en charge psychologique diligente

Prendre en charge psychologiquement une petite fille violée selon Donatien Ayéna, psychologue-clinicien au centre KEKELI, c’est réduire d’abord la souffrance psychique chez elle. « C’est comme une blessure intérieure qui est là et qu’on ne peut pas voir avec nos yeux. Il faut la réduire en permettant à la victime d’exprimer ses douleurs émotionnelles ; parfois c’est par des pleurs ou alors une tristesse…Et dire vraiment des mots sur ces souffrances », explique-t-il.  En procédant ainsi et tôt, on peut éviter la cristallisation chez la victime. Si la prise en charge n’est pas immédiate, explique le psychologue, la souffrance va devenir de plus en plus massive et plus grave. Aussi, permet-elle au sujet d’être écouté, d’être accompagné et de redevenir attirant.   A défaut, les victimes dans la plupart des cas, développent un sentiment de dévalorisation. « Cela fait que certains enfants vont quitter la maison pour l’école mais resteront en chemin.  D’autres vont fuguer parce que l’agresseur est toujours dans la zone. Le rendement scolaire va chuter. Ce sont, entre autres, l’expression d’une souffrance psychique que les parents et l’entourage ne comprennent pas. Or, présenter rapidement devant le psychologue ou le spécialiste de l’écoute, l’enfant sera mis en confiance et exprimera tout. C’est vrai que ce n’est pas dans notre culture, mais ceux qui le font, j’avoue qu’ils ne le regrettent pas », soutient M. Ayéna.

La prise en charge peut concerner également les proches des victimes ou de simples témoins qui peuvent connaître des complications psychologiques.

Eviter le stress post-traumatique

Le stress post-traumatique est un phénomène qui peut se développer à la suite d’un accident, d’une catastrophe naturelle ou d’un viol. L’un de ses signes est le développement du syndrome de reviviscence.  « La victime va te dire qu’elle revit la scène du viol. C’est comme un film que toutes voient dans leur tête, ça passe et repasse. Tu veux que ça s’arrête mais ça revient », explique le psychologue-clinicien.  A cela s’ajoutent deux autres signes qui sont notamment le syndrome d’évitement et celui d’hyperactivité. Dans le deuxième cas, la victime cherche à éviter tout ce qui est rattaché au souvenir du traumatisme ou de l’élément traumatisant. Cela peut être des personnes, un lieu, des activités, des pensées qui sont liées aux souvenirs du viol, des hommes d’un certain âge, le teint… Le troisième syndrome est lié au sursaut. « La personne est là et d’un seul coup vous verrez qu’elle saute ou crie, commence à paniquer. Quand les trois syndromes sont présents et que ça dure au moins un mois, on peut dire qu’il s’agit d’un syndrome pos-traumatique », indique le psychologue.

Communication parents-enfants

Pour les spécialistes, il faut briser les tabous et parler de la sexualité avec les enfants pour faciliter la communication autour du sujet. En procédant ainsi, lorsqu’ils sont victimes d’un tel acte, il leur est plus aisé d’en parler, de dénoncer son auteur et d’enclencher ainsi le processus de la prise en charge générale.

En outre, les parents ne devraient pas banaliser tout ce que les enfants leur disent. Il leur faut prêter une oreille attentive à leurs propos. Selon les psychologues, beaucoup d’enfants préfèrent souffrir dans le silence face aux comportements des parents alors que les symptômes s’agrandissent au fur et à mesure qu’elles demeurent dans leur silence. « Il faut démystifier la question de la sexualité dans nos familles. Chaque parent peut trouver un moyen qui lui est propre pour en parler et profiter pour dire ce qui est violence et ce qui ne l’est pas », indique M. Ayéna.

Le 1011 pour dénoncer

Il est important de sensibiliser la population sur la culture de la dénonciation. Cela permettrait de briser le silence autour du viol et de l’agression sexuelle sur mineur.  Elle peut se faire dans l’anonymat en composant le 1011, une ligne verte mise en place par l’Etat. Les agents au bout du fil montrent la voie à suivre.  Et ceci protège la personne d’une tentative de vengeance de l’auteur ou de ses proches, surtout lorsque cela se passe dans l’environnement familial.

De fait, même s’ils ne sont pas nombreux, certains parents avec l’aide des organisations de la société civile, arrivent à dénoncer les violeurs. C’est le cas récemment de M. Komi Gbone qui a saisi par courrier, en date du 30 juillet 2020, le Ministère des Enseignement primaire et secondaire pour un cas de grossesse précoce à l’école dont l’auteur ne serait autre que le directeur de l’école primaire publique Agokpo, dans la préfecture de Haho (environ 94 km au nord de Lomé). L’instituteur est accusé d’avoir abusé sexuellement de son élève, une mineure de douze ans en classe de CM2 dans son établissement.

Outre la dénonciation, il est tout aussi important de multiplier les centres d’écoute, d’accueil et de prise en charge holistique de cas de viols sur mineurs. Il faut aussi impliquer les hommes et les jeunes garçons dans le processus de prévention et de protection des victimes, en les responsabilisant comme médiateurs dans les processus de gestion des cas de viols. Il s’agit là de prôner la masculinité positive.

Ecrit par Atha ASSAN et publié dans Focus Infos N°280