Changement climatique : le chemin de croix des pêcheurs et des mareyeuses sur les côtes togolaises

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Alors que s’est ouverte cette semaine en Égypte la 27ème conférence des parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27), les effets des changements climatiques continuent d’impacter négativement les populations. A Katanga et au nouveau port de pêche de Lomé, pêcheurs, femmes transformatrices et mareyeuses demeurent impuissants face aux effets du dérèglement climatique. Baisse de production, non maitrise des saisons, diminution des espaces de séchages et de fumages, érosion côtière, le désespoir de ceux qui vivent de l’activité de la pêche au quotidien s’accentue. Reportage.

Le changement climatique a tout changé !

Assise sur un tabouret avec à ses côtés des bassines vides, dame Afiwa Sister, mareyeuse, a un visage peu accueillant en cette mi-journée du vendredi 29   octobre 2022.  Yeux rivés sur le chenal d’accès du nouveau port de pêche, elle est   partagée   entre   espoir et pessimisme d’une bonne capture de poissons par ses pêcheurs partis en mer depuis des heures. « L’activité de pêche était bien rentable mais depuis quelques années, même avec notre arrivée sur le nouveau site, nous ne comprenons plus rien.  Quand nos pêcheurs vont en mer, nous restons en prière pour   qu’ils   reviennent avec beaucoup de poissons mais parfois c’est presque les barques vides qu’ils retournent après avoir dépensé tout le carburant acheté », raconte Dame Afiwa Sister, mareyeuse au port de pêche de Lomé.

Visiblement ignorante des impacts des changements climatiques   sur    son activité, elle fait rapidement le lien entre cette baisse de production et les cérémonies traditionnelles qui ne sont plus organisées pour les dieux de la mer depuis quelques années. Pas pour autant chez les pêcheurs qui sont certainement plus avisés. Pour eux, le changement climatique    est   sans   doute la cause de cette baisse de rendement.

« Il y a encore quelques années, nous maitrisions les saisons de pêches où la rentabilité était bonne, et les types de poissons que nous pêchions à chaque saison de l’année, et même comment la production devrait évoluer jour après jour, mais maintenant nous ne maitrisons plus rien du fait que les saisons changent d’une année à l’autre. Les temps de pluies, de chaleur et l’orientation du vent, tout ceci nous échappe or ces paramètres nous permettaient d’adapter nos fréquences et stratégies de pêche », raconte Komla Koudagbo, pêcheur au port de pêche de Lomé.

Ce constat, est partagé par plus d’une centaine de pêcheurs opérant sur les côtes togolaises interrogés dans le cadre d’une étude intitulée « Changements climatiques et vulnérabilité de la pêche artisanale sur le littoral togolais », conduite par Koku-Azonko FIAGAN, enseignant chercheur à l’Université de Lomé.

En effet selon la FAO, l’augmentation de la température de l’eau et son acidification sont deux des principaux mécanismes par lesquels le changement climatique exerce son action sur la biodiversité marine, touchant à la fois la productivité et la distribution des stocks de poissons marins.

« Les effets des changements climatiques sont aujourd’hui visibles dans divers domaines de l’activité économique. Dans le secteur de la pêche, les effets portent sur la baisse des prises, l’éloignement des zones de pêche, la baisse de la productivité des différents stocks, la disparition de certaines espèces, la diminution de l’intensité du phénomène d’upwelling, la baisse du stock d’anchois, et le développement des algues non comestibles, entre autres. D’après les études que nous avons menées, les côtes togolaises n’échappent pas non plus à ces effets du changement climatique et les pêcheurs en sont aussi impactés », indique l’enseignant chercheur Koku-Azonko FIAGAN, spécialiste de la géographie halieutique.

Tout est aussi parti !

Le changement climatique n’occasionne pas que la baisse de la production halieutique. Le phénomène concourt aussi à l’amplification de l’érosion côtière. D’après les chercheurs du climat, la variabilité climatique a pour conséquence majeure, l’élévation du niveau de la mer, l’érosion côtière et la perte de la biodiversité.

« La mer a pris une bonne partie de la côte. Vous pouvez de loin voir des restes des fondations de maisons emportées par l’érosion côtière. Cette dégradation de la côte empêche les pêcheurs d’aller en mer et parfois quand les mareyeuses amènent des pêcheurs, ils repartent ou hésitent à aller en mer craignant comment accoster ou comment se préparer pour aller à la pêche », confie Kodjo Tetevi, président de l’Union des coopératives de pêches maritimes.

De fait, l’érosion côtière a, d’après Sylvain Akati, spécialiste des questions de l’économie maritime et Directeur exécutif de l’ONG AJEDI, occasionné la disparition de plusieurs infrastructures sur les côtes togolaises dont celles nécessaires au développement des activités des femmes mareyeuses et transformatrices ainsi que les pêcheurs.

« Il y avait là un puits que nous utilisions pour nos activités qui aujourd’hui est emporté. Cela montre que l’érosion côtière a pris une très grande partie de notre côte et ce n’est pas sans conséquence », confie madame Ami, Secrétaire générale des femmes transformatrices de poissons de Katanga.

Parfois quand la mer est agitée, poursuit-elle, « les vagues, du fait que la côte est désormais proche de nous, emportent nos poissons fumés ou salés avec nos gourdes et bassines. Avec l’érosion côtière qui avance chaque année, nous n’avons plus assez d’espace pour transformer et conserver les poissons ».

Et la pollution aussi…

Le calvaire des mareyeuses, femmes transformatrices et des pêcheurs n’est pas uniquement lié à l’érosion côtière. La dégradation de l’environnement marin impacte aussi l’activité de pêche.

« La dégradation de l’environnement marin aussi nous porte un coup dur. Il y a des bateaux qui naviguent sur nos côtes qui déversent les vidanges et des déchets dans l’eau. Cette pollution fait éloigner les poissons de nos côtes », relève le pêcheur Komla Koudagbo.

En plus de ces liquides déversés par les bateaux, l’expert en économie bleue, Sylvain Akati, mentionne la présence dans les eaux marines d’autres produits chimiques comme le mercure, et les sachets plastiques qui dégradent l’environnement marin et ont des incidences sur la croissance des espèces halieutiques.

Au-delà, quelques mauvaises pratiques de pêche, notamment l’utilisation des filets à faibles mailles et la non observation des repos biologiques ont pour effet de réduire la rentabilité de la pêche.

Dans l’espérance d’une justice climatique

Face aux impacts du changement climatique et de la dégradation de l’environnement sur leur activité, les pêcheurs espèrent des actions devant leur permettre de s’adapter. Et il faut agir. « Nous perdons environ 5 mètres de côtes chaque année et cela impacte l’activité de la pêche et toute la chaine de valeur. Il faut que les côtes puissent être protégées, notamment en posant des digues », pense Sylvain Akati.

En cela, il souhaite une accélération de la mise en œuvre du projet WACA qui intègre une dimension de protection des côtes et dont les travaux ont déjà démarré à Aneho. Les pécheurs, au-delà de la protection de la côte, appellent à une justice climatique en leur faveur et espèrent un appui du gouvernement.

« La pêche, c’est notre métier, et c’est difficile pour nous de nous reconvertir. Comme le font d’autres pays pour accompagner les pêcheurs, nous attendons que le gouvernement qui fait déjà beaucoup d’efforts pour notre secteur, puisse nous assister avec des équipements, des subventions et la mise en place de micro-projets pour nous aider à faire face à la baisse de nos revenus. Aussi, les pays grands pollueurs de nos mers et émetteurs des gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques doivent trouver un mécanisme pour nous aider à compenser nos pertes », plaident les pêcheurs et mareyeuses rencontrés au port de pêche de Lomé.

Cet accompagnement de l’Etat aux pêcheurs pourra contribuer à lutter contre la piraterie et la sécurité maritimes.

« Avec la baisse du rendement, les pêcheurs sont parfois complices des pirates en haute mer en leur donnant des informations. Quelques fois certains pêcheurs s’adonnent à des activités illégales autres que la pêche dans le dessein d’avoir de l’argent. Certains abandonnent définitivement la pêche pour es activités qui ne garantissent pas la sécurité maritime », confie Koudagbo, notre pêcheur expérimenté.

Par Charles Essodina KOLOU