Avec l’avènement des Bars qui ont envahi le carrefour dans les années 1980 développant ainsi le travail du sexe, le carrefour Déckon pendant longtemps a été considéré comme un des principaux lieux de la prostitution du pays. Mais aujourd’hui, il est plus connu pour être un grand centre d’affaires de la ville et un haut lieuoù se déroulent des transactions sur des portables et leurs accessoires.
Avec la démocratie dans les années 1990, tout a changé au carrefour Déckon. De plus en plus de bars se sont installés avec des cafétérias pour des repas rapides. Les autochtones ont commencé à vendre leur devanture aux étrangers pour l’installation des boutiques d’alimentation générale. 20 ans après, ces boutiques essentiellement détenues par des Guinéens, se sont converties pour la plupart en des boutiques de vente de télévisions, ou de ventilateurs détenues dans la majeure partie par des Libanais.
Aujourd’hui 30 ans après que le vent de la démocratie a soufflé dans la capitale togolaise, le carrefour Déckon est devenu le lieu où tout se vend et tout s’achète. Tout au long du boulevard du 13 janvier, pas besoin de loupe ni de jumelle pour observer les parterres ébouriffés de boutiques et kiosques d’appareils électroniques de tous genres. Les Smartphones et autres appareils électroménagers, se vendent comme de petits pains. De grosses sociétés d’appareils électroménagers de toutes sortes (télé, ventilo, réfrigérateur, micro-ondes….) comme NASCO y ont installé des points de vente.
On compte aussi dans le juteux business qui se développe à Déckon, l’achat et la vente de motos. Ce carrefour est la principale vitrine de la société Haoujue spécialisée dans la vente des motos et leurs accessoires. Mais le business de portables et accessoires est l’activité dominante.
Ces portables vendus au carrefour Déckon viennent en grande partie de l’Europe, de la Chine, de Dubaï, de Hong-Kong et sont soit, des originaux, soit des « chinoiseries » (portables low cost et de qualité rarement supérieure).
« Dans le domaine des originaux tels que les marques LG ou Samsung, Alcatel, nous avons deux catégories. Nous avons les portables venus qui proviennent directement de l’Europe sans être touchés qu’on retrouve la plupart du temps au port. Ensuite les reformés qui sont les portables recyclés que les grandes structures de Chine, Dubaï et Inde achètent en Europe, ramènent en usines, essayent d’en réparer les pannes détectées et ensuite remettent sur le marché pour vendre », explique Esofa Kolou, propriétaire de la boutique Esofa de vente de portables et accessoires. Il y a aussi de nouvelles marques de mobiles qui entrent dans la famille des originaux. Même s’ils n’ont pas été fabriqués en Europe, ils sont considérés comme tels car ils ont toutes les qualités et normes des portables originaux. Il s’agit des marques Tecno, Infinix, Itel, X-Tgi qui gagnent de plus en plus le marché et qui viennent directement de la Chine.
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Les portables « chinoiseries » avec des marques peu connues comme BBK, Cubot, Gfive, Gionee… viennent souvent de Dubaï, Hong-Kong, Chine, en gros, des pays Asiatiques.
En ce qui concerne les accessoires, les batteries, écran, micros, plaquettes, etc., ils viennent souvent avec les portables. Ainsi donc les accessoires des mobiles originaux venus d’Europe sont la plupart du temps faciles à trouver sur le marché car les maisons de production ont libéralisé la vente de ces produits. Même son de cloche s’agissant des autres marques originales chinoises sauf pour la marque X-Tigi. « Les accessoires de cette marque sont très difficiles à trouver ici à Déckon, même dans les grosses boutiques de la place. On n’est pas autorisé à faire cette vente, c’est la maison de production elle-même qui vend ses accessoires », confie Aziz, un tenancier de kiosques de portables.
Une organisation individuelle des acteurs dans le business
Les portables dits venus sont l’apanage de la diaspora. « En effet, certains de nos frères qui sont en Europe se sont donnés à 100% à cette activité. Ils collectionnent des portables recyclables, quand ils atteignent un nombre considérable, ils viennent eux-mêmes au pays, ouvrent leurs marchandises au port pour une vente. Ils les livrent souvent en gros à des techniciens spécialisés dans la réparation des portables mais dès fois en détails directement à des clients. Ce sont des ventes dites « tout risque », sans possibilité de garantie à des prix très bas. Par ailleurs, il faut noter que certaines ventes sont avec garantie lorsque le vendeur est sûr du bon fonctionnement de l’appareil » explique Esofa.
Et son technicien Asso dit De-gaulle de témoigner « quand vous allez au Port autonome de Lomé, vous trouverez toutes sortes de portables. Ces portables viennent souvent des États Unis, de Hong Kong, de Dubaï pour ne citer que ces lieux de provenance. Une fois les portables déversés, on les trie, ceux qui travaillent sont vendus directement tandis que les autres qui ne répondent pas sont mis de côté. C’est à nous techniciens des téléphones mobiles qu’il revient d’acheter ces portables défectueux en lot à un prix négociable. Aussi, le cycle de la seconde vie des portables débute». C’est un business très juteux selon le technicien car sur 80 à 100 portables défectueux achetés, on peut récupérer 70 près à vivre à nouveau. Ce sont ces portables qui sont achetés à TP3 sur le site du port de Lomé.
Pour ce qui est des portables venus reformés, les acteurs s’approvisionnent à Dubaï, Hong-Kong, Chine, Inde. L’achat des portables dans ces pays est réservé uniquement aux gros grossistes et grands fournisseurs.
« Pour ce qui est de nous les petits fournisseurs de Déckon, la plupart d’entre nous se ravitaillent au Ghana, au Nigeria où sont installés des grossistes spécialisés dans la vente des portables venus réformés », déclare Aziz. Selon son confrère Esofa, on ne peut pas avec un budget de quelque 5 millions de FCFA, prétendre aller s’approvisionner hors de l’Afrique, tu vas perdre. « Il te faut avoisiner des dizaines de millions avant de s’aventurer à Dubaï en matière de commerce de portable et accessoires » confie-t-il.
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Mais pour ce qui est des marques comme Tecno, Infinix, Itel, qui sont les téléphones les plus vendus en ce moment, il faut noter qu’ils ont leurs structures basées ici au Togo. Donc les boutiques qui veulent vendre en gros achètent chez eux ici au Pays. « En effet pour ce qui est de ces marques, il est impossible d’aller se faire ravitailler en chine ou Dubaï. Quand ça va arriver au port, la marchandise serra bloquée parce que ces structures ont le monopole sur le marché ici et elles contrôlent les prix de ces potables de telle sorte que nous, nous ne sommes que de petits grossistes et des détaillants. Mais eux ils demeurent les gros fournisseurs. On ne peut pas non plus aller copier et amener », révèle Esofa.
Eux-mêmes vont à Déckon pour identifier les vendeurs qui peuvent être de gros grossistes. Et ceci c’est par catégorie, en fonction de la quantité et du montant d’achat. Ainsi quand la quantité n’est pas importante, ils t’obligent à aller te fournir chez les grossistes de la place afin de leur permettre d’évacuer leurs marchandises. « Moi par exemple, je ne vends que ces trois marques, mais étant à mes débuts et en plus étant donné que la quantité n’est pas grande, je me les procure chez Aladji qui se trouve à l’étage et les vends en détails », avoue Aziz.
Par ailleurs il faut noter que l’achat et la vente des accessoires de ces trois marques ne sont pas contrôlés par leurs structures installées ici. Ainsi les acteurs de vente de ces outils ont la possibilité de se les procurer partout.
Si au début le commerce au carrefour Déckon a été l’apanage des Haoussas du Ghana, il a été détenu par la suite par les Guinéens avec l’arrivée des cafétéris, d’où leurs noms « Diallo ». Actuellement, c’est tout un métissage d’acteurs dont des Libanais, sont en majorité suivis des Nigérians. Les Togolais eux-mêmes sont en nombre très infime dans ce commerce.
Créations d’autres activités parallèles à la vente
Outre la vente des mobiles et accessoires, il y a le segment d’activité « réparation » de ces téléphones qui se développe aussi sur le site de Déckon. Ainsi devant chaque kiosque et presque dans toutes les boutiques du boulevard de 13 janvier, se trouve un technicien réparateur de portables.
« Ça fait deux ans que je suis ici. Je collabore avec Esofa. Quand quelqu’un achète un accessoire dans sa boutique, au lieu d’aller se faire arranger le portable ailleurs, je le répare ici contre une petite réduction. On pourrait croire que je perds mais non. Car le nombre de client vient gonfler le chiffre d’affaire qui nous fait gagner tous les deux. J’arrange par jour ici 50 portables, ce qui me fait gagner plus que si j’étais installé ailleurs » précise Asso.
A côté, on a les démarcheurs de vente de portables et accessoires. « Beaucoup de personnes viennent ici et ont des difficultés à trouver ce qu’elles veulent. Nous, on les écoute et on les dirige vers les boutiques. Et nous recevons notre dû compris entre 200 et 1000 FCFA de la part du boutiquier lorsque le client achète le produit. Il arrive aussi que des clients gentils et satisfaits nous fassent de petits gestes », confie Kossivi, démarcheur de portables.