« Si les lois existantes ne protègent plus l’État de droit contre les menaces, alors des lois nouvelles et parfois plus radicales doivent être créées de façon à maintenir l’ordre ; l’alternative c’est l’anarchie ». Il s’agit du caractère constitutionnel de l’Etat d’urgence face à l’Etat de droit, déclaré dans beaucoup de nos Etats, y compris le Togo, mettant en lumière le bio-pouvoir, si cher à Michel Foucault, autour de la discipline des corps et de la biopolitique des populations. Pour ce faire, une artillerie lourde de textes, notamment les ordonnances, les décrets et les arrêtés, est conférée aux autorités de police administrative.
Il est certes légitime de se demander si l’État de droit subsiste toujours dans les périodes de crise. En d’autres termes, les crises de grande envergure à l’instar de celle du covid19 n’engendrent-elles pas une mise en latence de l’État de droit ?Autrement dit, comment le gouvernement togolais procède-t-il pour mettre en branle des pouvoirs exorbitants tout en garantissant l’État de droit ?
Le couple Etat d’urgence-Etat de droit oscille à l’évidence entre droit et contrôle de légalité.
Toujours du droit
L’État de droit est préservé dans une période de crise sanitaire si les mesures prises et actions engagées demeurent régies par les lois en vigueur fussent-elles exorbitantes. Il est cependant important de souligner que ce cadre légal est susceptible d’extension selon une procédure aussi prédéfinie. La crise sanitaire convoque essentiellement la loi n° 2009-007 du 15 mai 2009 portant Code de la santé publique en République togolaise dont la violation est punie par la loi n° 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal. Cependant, l’analyse des dispositions du Code de la santé publique révèle qu’elles procèdent moins de prises de mesures pour protéger l’ensemble de la population. Il est alors nécessaire d’offrir la possibilité d’étendre le champ légal d’intervention des autorités impliquées.
Dans cette dynamique, l’Exécutif togolais a bénéficié d’une extension de compétences en application de l’article 86 de la Constitution. Le recours aux ordonnances permet en effet au Gouvernement d’agir plus rapidement tout en respectant les prérogatives du pouvoir législatif relativement à l’article 84 de la Constitution. L’autorisation est accordée par une loi fixant le délai d’habilitation, la finalité et le domaine d’intervention des mesures que le Gouvernement entend prendre.
L’Assemblée nationale ne peut qu’accepter, refuser, ou, éventuellement, limiter la durée ou la portée de l’habilitation demandée. Cette dernière est accordée pour une durée limitée, dans la pratique, d’un mois à plus de trois ans et cette même loi d’autorisation doit également mentionner la date à laquelle le projet de loi de ratification devra être déposé.
Dans tous les cas, cette demande est discutée en plénière à la majorité des membres de l’Assemblée nationale (Art. 115 du règlement intérieur de la VIe Législature). Si l’autorisation est accordée, les ordonnances sont prises en Conseil des ministres, après avis de la Cour constitutionnelle. Elles entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si un projet de loi de ratification n’est pas déposé devant l’Assemblée nationale avant la date fixée par la loi d’habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
À l’expiration du délai mentionné dans la loi d’habilitation votée par l’Assemblée nationale, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. Mais il ne suffit pas que la matière pour laquelle l’Exécutif a reçu une habilitation soit une matière législative. De manière plus précise, la loi d’habilitation doit indiquer les dispositions d’ordre législatif sur lesquelles le Gouvernement pourra intervenir et elle ne peut se contenter de renvoyer de manière générale aux rubriques de l’article 84 qui fixe les 36 domaines de la loi.
L’architecture normative est consolidée par la déclaration de l’Etat d’urgence sanitaire, par le Président de la République, dans son adresse du 1er avril 2020. Dès lors, les mesures prises pourraient engendrer un « confinement de l’État de droit », mais dans le respect du Droit tel qu’exigé par la crise.
Davantage de légalité
L’Etat de droit devant l’urgence sanitaire impose toujours le respect du cadre légal pour les autorités de police administrative. La lutte contre les épidémies et autres calamités repose en effet sur les autorités centrales dans le cadre de leurs missions régaliennes. Cette lutte doit être conjuguée avec le respect de la légalité malgré l’application d’un droit exceptionnel qu’appelle souvent l’urgence situationnelle.
Dans ce cadre, les autorités administratives jouissent d’un accroissement de leurs pouvoirs de polices pour notamment restreindre le régime juridique des droits et libertés consacrés par la Constitution.
Mais celles-ci ont l’obligation conventionnelle de ne point restreindre ceux d’entre ces droits qui sont incompressibles tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à l’esclavage et le droit de ne pas être soumis à la torture, aux traitements inhumains et dégradants. De même, pour être légales, les mesures prises en cas de menace sanitaire grave, notamment la pandémie du Covid-19, doivent remplir la triple condition de la motivation par l’intérêt de la santé publique, de la proportionnalité aux risques et de la convenance aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population.
Aussi, le régime juridique classique des concours de polices administratives générales et spéciales se retrouve-t-il transformé avec la minoration des « circonstances locales particulières » au profit des « raisons impérieuses » et en accord avec le représentant de l’Etat dans la préfecture ou la région. Le Conseil d’Etat français en apporte la confirmation, sur fond d’Etat d’urgence sanitaire et de droit de dérogation, dans sa décision du 17 avril 2020, Commune de Sceaux, en considérant que les maires ne peuvent pas prendre d’autres mesures de police que celles décidées par l’Etat dans le cadre de l’Etat d’urgence, sauf « raisons impérieuses ».
Une architecture normative équivalente est retenue au Togo avec le décret n°2020-015 du 30 mars 2020, et notamment son article 5, lequel fait du préfet, le président du comité local de gestion de la riposte au Covid19. Autrement dit, si le maire, tel celui de la commune du Golfe 5, sous réserve de la forme appropriée de l’acte, pouvait légalement aggraver les mesures de police en lien avec sa mise en demeure n° 073/PG/CG5-SG du 23 mars 2020, cette habilitation est désormais en veilleuse avec la déclaration de l’état d’urgence du 1er avril 2020 et du décret n°2020-015 précité.
L’Etat d’urgence sanitaire bouscule à l’évidence l’Etat de droit sans pour autant le faire tomber ! L’état d’urgence relève certes toujours du droit transitoire… Les réflexions du commissaire du gouvernement Romieu restent alors toujours d’actualité dans ses conclusions sur l’arrêt du Tribunal des conflits français Société immobilière Saint-Just du 02 décembre 1902, quoiqu’il y ait matières à débats sur le contrôle des juges (CE., Ord. Syndicat Jeunes médecins, 20 mars 2020 et CC., 22 mars 2020).