Les risques de la privatisation

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Une privatisation, comme toute cession d’actifs publics, permet à un Etat endetté de réduire ses dettes ou de moins emprunter. Elle facilite donc le respect des règles budgétaires qui imposent un plafond à l’endettement public brut (c’est-à-dire non diminué du montant des actifs des administrations publiques. Lorsqu’un Etat traverse une crise financière, les privatisations permettent aussi de rembourser plus rapidement ses créanciers et contribuent à les rassurer. Elles constituent donc fréquemment un élément important des programmes d’ajustement budgétaire imposés à un tel Etat par les organisations internationales qui lui apportent un soutien financier.

Cependant,  la réduction de la dette brute n’est utile que si la somme actualisée des dividendes abandonnés est inférieure à l’économie sur la charge d’intérêt.

Des investisseurs privés ne peuvent accepter d’acheter des actions détenues par l’Etat que s’ils en espèrent une rémunération, sous forme de dividendes ou de plus-value. En cédant sa participation, l’Etat renonce de son côté à recevoir des dividendes ou à réaliser une plusvalue. De manière plus générale, en cédant un actif (bâtiment par exemple), une administration publique se prive de ses revenus (loyers) ou de son utilisation (bureaux) et, dans ce dernier cas, doit louer un bien équivalent.

Une privatisation est financièrement intéressante pour l’Etat si la somme des dividendes auxquels il renonce, actualisés sur une durée infinie, est inférieure à la somme actualisée des intérêts qu’il économise sur la même durée. Comme la somme actualisée des intérêts d’une dette à taux fixe sur une durée infinie est égale au montant de cette dette, il faut que le produit de la privatisation soit supérieur à la somme actualisée des dividendes auxquels l’Etat renonce.

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En outre,  l’intérêt financier d’une privatisation pour l’Etat dépend uniquement des  recettes qui en sont tirées au regard des dividendes qui sont abandonnés. Il est totalement indépendant de « l’affectation » éventuelle de ces recettes, par exemple à un fonds en faveur de l’innovation. Si les dépenses de ce fonds ont une utilité socio-économique (pour l’ensemble des agents économiques), elles doivent être financées par l’Etat, que ce soit par l’impôt ou par l’emprunt, indépendamment de tout programme de privatisations. Si elles sont inutiles, elles ne doivent pas être engagées, quand bien même des privatisations apporteraient d’importantes ressources financières. D’un point de vue économique, les deux sujets, fonds d’innovation et privatisations, doivent être traités séparément et ils ne sont réunis que dans une démarche de communication politique.

D’un point de vue juridique, l’affectation d’une ressource de l’Etat à une dépense particulière est au surplus contraire à un grand principe budgétaire, le principe d’universalité. Celui-ci est certes depuis longtemps affaibli par diverses exceptions prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), en particulier par l’existence de « comptes spéciaux».

L’un de ces comptes spéciaux, le « compte d’affectation spéciale des participations financières de l’Etat », enregistre d’ailleurs le produit des cessions d’actions, en recettes, et les dotations en capital ou le coût de nouvelles acquisitions d’actions, en dépenses.

Cette affectation du produit des privatisations aux achats d’actions ou aux dotations en capital est en fait très souple. En effet, si le produit des privatisations est inférieur aux achats d’actions et dotations en capital, ce compte est alimenté par le budget général.

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S’il est supérieur, son excédent est versé au budget général. Il est ainsi probable que le produit des prochaines privatisations soit reversé du compte des participations financières de l’Etat à un programme ad hoc du budget général puis de celui-ci à un nouveau compte spécial intitulé «fonds pour l’innovation», ce qui constituera une complication inutile puisqu’il ne devrait y avoir aucun lien entre privatisations et soutiens à l’innovation.

Par ailleurs,  l’intérêt financier d’une privatisation n’est pas acquis d’avance.  La condition selon laquelle le prix de cession des actions de l’Etat doit être supérieur à la somme actualisée des dividendes qu’il aurait pu recevoir n’est jamais acquise d’avance.

En effet, le prix de cession dépend notamment des deux facteurs suivants qui peuvent jouer sur ce prix à la hausse ou à la baisse :

– d’une part, l’efficacité du processus de mise en concurrence des acheteurs potentiels ; si les candidats à l’acquisition sont en très petit nombre et/ou si la procédure est mal conçue, le prix de cession risque d’être insuffisant ; or l’analyse économique des enchères montre que leur mise en œuvre est difficile et qu’il n’existe pas de procédure efficace dans tous les cas de figure ;

– d’autre part, l’opinion des candidats à l’acquisition des actions sur les perspectives financières de l’entreprise privatisée ; si un acheteur considère, à tort ou à raison, qu’il peut gérer l’entreprise privatisée mieux que l’Etat, il sera enclin à proposer un prix supérieur à la somme actualisée des dividendes que celui-ci peut espérer.

L’intérêt et les risques pour les clients de l’entreprise privatisée

Une entreprise privée a un coût du capital plus élevé qu’une entreprise publique. Dans les coûts d’une entreprise figure ce que les économistes appellent le « coût du capital », à savoir la rémunération qu’elle doit verser à ceux qui la financent, prêteurs et actionnaires. Ce coût du capital est égal à la moyenne du taux de rémunération des fonds propres et du taux d’intérêt de la dette, pondérés par leurs parts respectives du passif total.

Or le taux d’intérêt des dettes d’une entreprise publique est très proche de celui des emprunts d’Etat car elles bénéficient, explicitement ou implicitement, de la garantie de l’Etat. Il est donc inférieur à celui des dettes d’une entreprise privée, dont les créanciers exigent une prime de risque plus forte pour la financer.

L’Etat ne devrait pas demander   une rémunération des fonds propres apportés aux entreprises publiques beaucoup plus élevée que le taux d’intérêt auquel il emprunte lui-même pour financer ces apports.

En effet, par l’importance de ses actifs et sa capacité à lever l’impôt, il devrait avoir une faible aversion pour le risque. La rémunération des fonds propres d’une entreprise publique est donc inférieure à celle d’une entreprise privée. Au total, le coût du capital d’une entreprise publique est toujours inférieur à celui d’une entreprise privée.

Néanmoins, une  entreprise privée est  souvent plus compétitive, surtout si elle est en concurrence car la productivité des facteurs de production, travail et capital, y est plus élevée. Les sociétés privées ont un objectif clair de maximisation de leurs bénéfices, qui les conduit à satisfaire leurs clients en minimisant leurs coûts, sous la contrainte des réglementations sociales, environnementales, financières, de protection des consommateurs etc.

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En revanche, l’Etat fixe souvent aux entreprises publiques des objectifs multiples et contradictoires, sans les hiérarchiser, de rentabilité financière, d’augmentation de l’emploi, de préservation de l’environnement, de maintien de la paix sociale, d’aménagement du territoire etc. Dans la mesure où les objectifs sont plus clairs dans les entreprises privées, les responsabilités sont plus faciles à identifier et les rémunérations peuvent être modulées selon les résultats.

Dans les entreprises publiques, les objectifs sont souvent flous, les responsabilités mal définies et les rémunérations sans rapport avec des résultats non mesurables. Les règles de gestion, du personnel mais aussi des achats ou des relations avec la clientèle, sont plus souples dans les sociétés privées que dans les entreprises publiques où ces règles s’inspirent souvent de celles de l’Etat.

Surtout, la concurrence peut conduire les sociétés privées à la liquidation ou au rachat par d’autres actionnaires si elles ne sont pas suffisamment compétitives. La concurrence et le risque de faillite ou de rachat sont de puissantes incitations à l’amélioration de la compétitivité qui ne jouent pas dans les entreprises publiques, où les agents sont généralement convaincus, non sans raison, que l’Etat viendra toujours à leur secours.

Régulation des prix

Les sociétés privées ne sont pas toujours en concurrence et elles peuvent alors être moins compétitives que des entreprises publiques car leurs prix peuvent intégrer une forte rente de monopole. Une entreprise privée en situation de monopole fixe en effet des prix plus élevés et produit une moindre quantité de biens, d’une moins bonne qualité, en réalisant des bénéfices plus importants qu’une entreprise en situation de concurrence. L’Etat doit donc intervenir pour réguler les prix, la quantité et la qualité de ces produits. C’est la base de la microéconomie.

Or les prochaines privatisations pourraient concerner des entreprises en situation de monopole «naturel ». Un monopole est naturel si les coûts d’entrée sur le marché empêchent toute concurrence en pratique (par exemple du fait de l’importance des infrastructures à construire ou de la disponibilité d’actifs essentiels comme les terrains).

Les intérêts financiers opposés de l’Etat et des clients de l’entreprise privatisée

Si la régulation mise en place est trop stricte, l’Etat risque de ne pas vendre ses actions à un prix suffisant pour compenser la perte de ses dividendes. Si elle est trop lâche, les clients de l’entreprise privatisée risquent d’être lésés. Leurs intérêts financiers et ceux de l’Etat sont largement opposés et il n’est jamais facile de réaliser une opération gagnant-gagnant (ce qui est néanmoins souvent possible)

Le scénario le plus mauvais (perdant-perdant), mais peut-être le plus fréquent, est le suivant : l’Etat définit des plafonds de prix et un cahier des charges stricts ; dans ces conditions, il cède ses actions à un prix inférieur à la somme des dividendes qu’il aurait pu recevoir en les conservant ; il recontacte ensuite rapidement l’entreprise privatisée pour lui demander de nouveaux investissements ; il obtient qu’elle les réalise mais en contrepartie d’une révision des plafonds de prix au détriment des usagers.

Les décisions de privatisation doivent en tout état de cause être prises au cas par cas, sur la base d’analyses approfondies.