Depuis le 15 novembre dernier, Anani SOSSOU et Loïc LAWSON sont détenus à la prison civile de Lomé. Placés sous mandat de dépôt la veille par un juge d’instruction, ils sont poursuivis par le ministre d’Etat, ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Réforme foncière pour diffamation, atteinte à l’honneur et incitation à la révolte. Sans contester l’initiative du plaignant qui, tout ministre qu’il est, a pleinement le droit comme n’importe quel citoyen d’exercer les actions que lui offre le code pénal lorsqu’il se sent victime d’une infraction, ni remettre en cause les préjudices qu’il allègue avoir subis du fait des publications incriminées de nos confrères sur les réseaux, il s’agit de questionner la proportionnalité entre les infractions retenues et les décisions coercitives et privatives de liberté, prises à leur encontre.
En effet, la détention préventive, fut-elle respectueuse de la procédure pénale, nous semble plus que sévère au regard de la « sortie de route » des deux professionnels des médias, à qui on peut reprocher beaucoup de choses, sauf d’être des délinquants invétérés, qui représenteraient en liberté un danger.
Levons toute équivoque. Il ne s’agit pas de revendiquer pour les hommes des médias, le droit à l’impunité, une sorte de sanctuaire où ils vivraient comme des intouchables. A l’instar des autres citoyens, les journalistes doivent répondre de leurs actes et ne sauraient s’exonérer de leurs responsabilités en s’abritant derrière leur statut. Encore plus, lorsque ces actes portent préjudice et qu’ils sont confondus à ne pas pouvoir apporter les preuves de leurs allégations. La liberté tant revendiquée et la responsabilité sont les deux faces d’une même médaille. En l’espèce, le manteau protecteur et spécial du code de la presse ne saurait valablement être invoqué ; les publications ayant été faites sur des supports non pris en compte par la nouvelle réforme de 2020.
Au surplus, seuls ceux qui ont été cloués au piloris sur les réseaux sociaux, poursuivis par les clameurs et les rumeurs publiques fondées ou non, victimes d’opprobres de personnes abritées derrière l’anonymat qu’offrent toutes ces plateformes d’échange, peuvent comprendre ce qu’on peut en ressentir.
Néanmoins, la main judiciaire a été sans conteste lourde, d’une part en choisissant de confier le dossier à un juge d’instruction, ce qui rallonge la procédure et d’autre part, en plaçant les deux inculpés sous mandat de dépôt. Au demeurant, l’instruction aurait pu se dérouler avec simplement le placement sous contrôle judiciaire des deux journalistes, au regard des infractions commises. Il n’est pas ainsi inutile de rappeler que la détention préventive ne devrait être requise qu’en cas de risque de non représentation des prévenus ou de destruction de preuves. Sur le premier point, Anani SOSSOU et Loïc LAWSON sont en mesure d’offrir des garanties suffisantes. Sur le second, le risque est presque nul puisqu’il leur est impossible de faire disparaître leurs publications des réseaux sociaux et sur internet.
Malgré tout, l’heure n’est pas au fétichisme juridique ni aux envolées protestataires. Dans le contexte de rétropédalage des deux pensionnaires de la prison civile de Lomé, de leur amende honorable et de la multiplication des initiatives pour une résolution conciliante du contentieux, il faut plutôt encourager, susciter et soutenir un geste d’apaisement du plaignant, qui se matérialiserait par une libération sous contrôle judiciaire après une semaine de détention. Dans l’esprit de la dépénalisation.