Quelques mois après avoir été constituée par les mouvements sécessionnistes des populations de l’Est du Ghana, qui réclament la constitution de l’état de Togoland pour porter le dossier devant les juridictions internationales et défendre leurs intérêts, la société civile professionnelle (SCP) d’avocats Martial Akakpo a décidé de se retirer du dossier. Dans une interview exclusive accordée à FOCUS INFOS, le dirigeant de ce cabinet de renom, Me Martial Akakpo évoque l’éthique professionnelle pour expliquer ce retrait. Il dément par ailleurs fermement les informations qui l’avaient présenté comme médiateur entre Agbéyomé Kodjo et le pouvoir, au lendemain de la présidentielle de février dernier.
FOCUS INFOS : Vous avez été constitué par les sécessionnistes de l’Est Ghana pour défendre leurs intérêts. Etes-vous toujours leur avocat et que réclament-ils ?
M.A : Le dossier constitué par mes clients de l’Est du Ghana est intéressant de par l’intérêt juridique qu’il comporte. C’est du reste la raison pour laquelle, je l’ai accepté. La réclamation d’autodétermination formulée par mes clients, présente une problématique réelle de droit public international qui mérite d’être discutée devant les juridictions internationales pour une décision. C’est un dossier techniquement motivant et intellectuellement passionnant à défendre. Malheureusement, selon les informations publiées par plusieurs médias, certains individus ont décidé en marge du volet juridique, de faire usage de la violence : attaques de commissariats, séquestration, destructions de biens, etc. Cette situation est inacceptable. En conséquence, j’ai décidé de me retirer de ce dossier pour des questions d’éthique professionnelle.
F.I :Cette forme de violence n’est pas nouvelle chez les sécessionnistes. Le mouvement avait déjà organisé des manifestations violentes suivies d’arrestations de certains de ses membres. Est-ce que vous n’avez pas fait preuve de naïveté ?
M.A :Mon analyse ne se fait pas à l’aune de la naïveté. Vous savez, j’ai roulé ma bosse dans ce métier. Une chose est d’organiser des manifestations pour réclamer des projets de développement ou le droit à l’autodétermination, une autre est de mener des actions violentes. Je dois dire, qu’il est vrai qu’historiquement, le droit à l’autodétermination a été gagné à travers des manifestations parfois violentes. Mais aujourd’hui, nous avons des instruments juridiques comme la Charte des Nations Unies et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui nous permettent de mener le débat juridique. Je vous rappelle que le principe d’autodétermination a été adapté à d’autres revendications légitimes, spécialement au profit de groupes minoritaires faisant l’objet d’une domination au sein même de certains Etats comme le Kosovo, la Tchétchénie, l’Ossétie du Sud, etc. Ainsi, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se détache d’une conception territoriale pour se rattacher au « principe des nationalités». L’identification du peuple bénéficiaire de ce droit s’opérerait sur la base des critères ethniques, linguistiques ou culturels, ainsi que par la référence à des arguments de type historique, le tout articulant cohérence interne et opposition à l’encontre d’une domination venant « de l’extérieur », quand bien même elle se déroulerait formellement à l’intérieur des frontières d’un Etat. Je vous rassure, ce principe est discutable et je ne vous dis pas que c’était notre ligne de défense. Mais admettez-le, le débat doctrinal aurait été passionnant et la décision technique peut être favorable à mes clients. Je précise que ces derniers ont toujours indiqué qu’ils étaient une « assemblée du Togoland » et non des « sécessionnistes ».
F.I :Vous estimez donc que vos clients subissent une domination au sein du Ghana considérée pourtant comme un modèle de démocratie apaisée en Afrique ?
M.A :Le débat sur le « Togoland » et la répartition de sa richesse n’est pas nouveau. Je ne vous apprends rien en vous disant qu’une partie de la population estime être lésée en dépit des richesses naturelles de la région. Il y a des explications historiques sur le sujet. En cela, je vous renvoie notamment aux travaux du Prof. Adovi Michel Goeh Akué. Mais, il y a aussi, je vous le confirme, un sujet de droit international sur la question de l’autodétermination. Et c’est sur ce volet, uniquement sur ce volet juridique que je m’étais engagé à défendre mes clients. Je considère que les actions violentes menées par certains individus ne sont pas de nature à garantir la sérénité du débat juridique. Il y a donc d’un côté, une volonté de croiser le fer sur le plan juridique et de l’autre ces actions qui peuvent polluer le vrai débat. Se retirer aujourd’hui, pour répondre à votre question précédente, n’est pas faire preuve de naïveté, mais de responsabilité.
F.I : Des médias ghanéens voyaient dans votre constitution un soutien discret du Togo à la cause des sécessionnistes. Quelle est la position officielle des autorités togolaises dans ce dossier et avez-vous bénéficié de leur soutien ?
M.A :Vous savez, les journalistes ont souvent l’imagination fertile s’agissant des dossiers juridiques à connotation politique. Je ne suis pas membre du gouvernement togolais et vous suggère de poser la question à ses portes-paroles pour avoir la position officielle du Togo. Et puisque je me retire du dossier, la question d’un éventuel soutien du Togo devient ridicule. Vous savez, la constitution d’un cabinet comme le nôtre par des Ghanéens, n’est pas le fruit d’un hasard. Il n’est pas faux de dire qu’au regard de notre positionnement et des différents classements internationaux qui nous honorent, notre visibilité dépasse évidemment nos frontières. A ce propos, je vous renvoie notamment au dernier classement de Jeune Afrique en matière du Droit des affaires par exemple. Nous avons un département de droit public qui aurait pu travailler sur ce dossier.
F.I :Une dernière question sur un sujet de politique intérieure. Certaines sources indiquent que vous avez été médiateur pour concilier le pouvoir et M. Agbéyomé Kodjo, ancien candidat à l’élection présidentielle. Pouvez-vous nous confirmer cette information et nous dire les résultats obtenus ?
Vous savez, depuis 2007, j’ai décidé de me consacrer exclusivement à ma société d’avocats. Même s’il m’arrive de défendre des hommes politiques, je suis totalement en retrait de la vie politique togolaise.
Je voudrais apporter ici une réponse ferme à ces informations mensongères colportées par certains réseaux sociaux alimentés probablement par des activistes proches de M. Agbéyomé Kodjo.
D’après ceux-ci, l’on m’aurait attribué une mission de médiation, sur une demande supposée du ministre Yark Damehame, que j’ai dû avoir une ou deux fois au téléphone, il y a quelques années sur des sujets évidemment qui n’ont rien à voir avec la politique. Je serais donc intervenu pour proposer un poste de Premier ministre à M. Kodjo et ainsi faire annuler les poursuites judiciaires à son encontre. Pensez-vous que ce dernier a besoin de moi pour parler ou négocier avec ses anciens amis du RPT ou UNIR ?
Je n’ai pas pour habitude de relater le contenu de mes échanges avec mes clients. Cependant, je me permets de vous résumer les faits. M. Kodjo a sollicité amicalement mes conseils juridiques dans le cadre de la levée de son immunité parlementaire. Absent du pays, j’ai donc dépêché un de mes collaborateurs pour l’assister. A mon retour au Togo, et suite à sa convocation par la gendarmerie, j’ai eu un entretien avec lui, à sa demande et à son domicile encerclé à l’époque par les forces de l’ordre. Deux jours après, on m’attribue une mission de médiation. Choqué, j’appelle M. Kodjo, qui me présente ses excuses et laisse croire à une mauvaise interprétation des faits ainsi qu’à une erreur manifeste de son entourage. Au regard de nos rapports familiers, j’ai clairement manifesté auprès de ses proches ma profonde déception puis me suis mis en retrait de ce dossier. Je suis donc surpris, que certains continuent par colporter ces rumeurs et m’interroge sur leurs objectifs. J’invite donc les uns et les autres à se ressaisir et à ne plus associer mon nom à ces sujets politiques.