Togo : le combat de longue haleine contre la mortalité maternelle et néonatale

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Si faire des enfants contribue à perpétuer la vie sur terre pour les humains, le revers de la médaille se révèle terriblement lourd de conséquences pour de nombreuses femmes enceintes. Pour des raisons diverses, ces dernières perdent la vie en travail. Malgré les stratégies et programmes mis en œuvre, des réalités sur le terrain parfois effraient et laissent les citoyens et citoyennes sans voix. Dans ce dossier, Focus Infos vous présente les défis liés à la santé maternelle et néonatale au Togo, les solutions existantes et partage quelques bonnes pratiques découvertes sur le terrain qui nécessitent une mise à échelle ou une amélioration pour sécuriser la vie de la femme enceinte et de son bébé.

« Plus aucune femme ne doit mourir en donnant la vie », avait promis le Chef de l’Etat à l’entame de son mandat en 2010. Cet engagement ferme du Président de la République, Faure Gnassingbé, visant à réduire drastiquement les mortalités maternelles, néonatales et infantiles rencontre des embûches dans sa concrétisation. Des décès signalés parfois dans des hôpitaux sèment la désolation au sein des communautés. Les causes sont diverses. Du manque d’informations au niveau de certains citoyens à la négligence de certains professionnels de la santé, en passant par le manque de données fiables pour la prise de décisions convenables, le refus de réaliser un audit après chaque décès maternel et néonatal, le mauvais accueil des patients …, les facteurs qui pèsent sur l’amélioration de la santé maternelle et néonatale sont nombreux.

Des scènes effrayantes et horribles

Elle a rendu l’âme dans la matinée du 31 décembre 2022 dans une structure publique de référence à Lomé, l’hôpital de Bè. La défunte, commerçante, vivait dans un quartier périphérique de la ville de Lomé. La trentaine, portant une grossesse à terme, attendait un quatrième enfant. Elle n’avait manqué aucun rendez-vous de consultations prénatales et avait honoré toutes les analyses demandées, selon la famille. A la veille de la Saint Sylvestre, le 30 décembre, vers 16 heures, elle était aperçue devant ses étalages, souriant avec ses clients. Sa mésaventure allait commencer une fois rentrée à la maison. « Vers 19 heures, je reçois un coup de fil de ma femme. Elle me parlait de quelques petites douleurs. Immédiatement, j’ai raccroché et j’ai contacté un chauffeur qui l’a transportée directement au Centre médico-social où elle faisait les consultations. J’ai délaissé aussitôt mes activités pour aller lui apporter mon soutien et mon assistance », témoigne le mari de Amavi qui se désole de l’accueil et du traitement réservés à sa femme dans ce centre public, avant d’être référée très tardivement, le lendemain aux environs de huit heures à l’hôpital de Bè. A son arrivée, malgré les diligences dont elle a été entourée, la dame n’a pas pu résister et s’en est allée avec son bébé avant même le début des soins.

Une femme enceinte en salle de consultation

Le petit Yao ne verra jamais sa maman. La vingtaine, cette dernière avait déjà perdu son premier bébé en 2022, 4 jours après l’accouchement. Une mésaventure qui ne faisait que commencer. Quand la deuxième grossesse survint quelques mois après, la famille a fait le choix de l’hôpital de Bè-Kpota (Blanc-blanc) où elle a eu des discussions avec le personnel soignant pour s’assurer de sa capacité à prendre en charge son cas. Dans la matinée du 27 avril 2023, en proie à des contractions, elle s’était, en compagnie de son mari, rendue sans tarder à l’hôpital. A leur arrivée aux environs de 11 heures, l’accoucheuse qui la suivait leur avait fait comprendre que l’heure avait sonné pour le bébé de venir au monde. Une information qui avait fait tiquer le mari, vu que l’échographie avait prévu le  12 mai pour la venue du bébé. « Elle me dit qu’elle connaît bien son travail. Pour moi, c’est la parole d’une professionnelle. Toutefois, j’insistais constamment sur le fait que je voulais ma femme et le bébé en vie », a-t-il confié. Entre 16 heures et 17 heures, l’enfant a poussé son premier cri « J’ai dit Dieu Merci ! », se rappelait le jeune papa. Une joie de très courte durée, malheureusement. L’état de la maman ne rassurait pas. « La sage-femme qui était là commençait à s’énerver car elle devrait vite rentrer pour s’occuper de son enfant à la maison. Après l’accouchement, Madame commençait à saigner, et le personnel soignant n’avait pas su tôt que c’était une hémorragie interne. Dans cette circonstance d’incertitudes, la sage-femme avait quitté le service, mais non sans avoir empoché les frais d’accouchement qu’elle me réclamait. Moi, j’ignorais tout de la scène qui se produisait à l’intérieur. Elle était donc partie, laissant le travail à l’accoucheuse, seule. », témoigne le papa de Yao avec désolation.  A 18 heures, une autre sage-femme arriva pour assurer le relais et la garde. Cette dernière prescrivit des produits à acheter urgemment. « C’était à la pharmacie que j’ai su que ma femme saignait. La deuxième sage-femme a fait de son mieux mais le sang ne s’arrêtait pas jusqu’à ce que Madame ne dise d’une voix inquiétante qu’elle sent trop de fatigue. C’est là qu’on nous a finalement référés vers le CHU Sylvanus Olympio entre 19 heures et 20 heures. Là-bas, le chirurgien constate une situation anormale et recommande d’aller chercher rapidement des poches de sang puisqu’il s’agit d’une hémorragie interne, l’utérus s’est explosé », rapporte le papa de Yao qui ajoute que « le médecin a rougi quand on lui a communiqué l’heure d’arrivée à l’hôpital, l’heure d’accouchement, l’heure de la référence, et a demandé expressément le contact de l’accoucheuse ». Il a tenté de sauver la femme en emblavant son utérus mais malheureusement faute de sang, elle a rendu l’âme vers 4 heures du matin après une courte période en salle de réanimation. C’était dans la nuit tardive. Le mari a fait le tour des centres possibles pour avoir des poches de sang mais hélas ! Aucune poche de sang n’était disponible. Alors  que la patiente avait trop perdu de sang. Elle ne verra pas son Yao grandir et ce dernier ne sentira jamais la fibre de sa maman. Le jeune papa, enseignant volontaire, après les dépenses liées aux obsèques de sa femme, remue depuis lors, ciel et terre pour s’occuper de cet orphelin de mère.

Ces cas exposés ci-dessus ne constituent que la partie visible de l’iceberg. D’après les statistiques fournies par le docteur Abram Amétépé Agossou, directeur de la santé de la mère et de l’enfant au Togo, la mortalité maternelle est passée de 478 pour 100 000 naissances en 1998 à 401 pour 100 000 naissances en 2013 ; la mortalité néonatale de 42 pour 1000 naissances vivantes à 27 pour 1000 en 2013 et la mortalité infantile de 80 en 1998 à 49 en 2013 puis 41,6 en 2017. « Les estimations du système des Nations Unies indiquent qu’en 2022, la mortalité maternelle au Togo est autour de 396 pour 100 000 naissances vivantes. Comme nous pouvons le constater, la situation s’est améliorée grâce aux efforts conjugués de l’Etat et de ses partenaires au développement mais les indicateurs sont encore à des niveaux inquiétants », a-t-il souligné. Ce qui montre que les indicateurs sont loin d’être au vert et ce n’est pas bon pour le développement d’un pays.

Quand parler de décès maternels et néonatals ?

Un décès maternel, selon le docteur Bingo K. M’Bortche, responsable médical à l’Association togolaise pour le bien-être familial (ATBEF), médecin gynécologue-obstétricien, président de la Société des Gynécologues-Obstétriciens du Togo (SGOT) et directeur adjoint de l’ENSF-Lomé (Ecole nationale des sages-femmes), c’est tout décès qui survient chez une femme au cours de la grossesse, pendant l’accouchement et dans les  42  jours suivant cet accouchement dont la cause peut être liée à la grossesse ou une autre cause aggravée par la grossesse. Ce qui amène à parler de causes directes (pré-éclampsie, placenta prævia hémorragique) et de causes indirectes (VIH, anémie).

En ce qui concerne le décès néonatal, explique le gynécologue, « c’est ce décès qui survient chez l’enfant en moins de 28 jours. Plusieurs causes peuvent être également à la base de cela dont certaines causes liées à l’état de la grossesse ».

La nécessité des audits

L’objectif d’un audit après un décès maternel ou néonatal, souligne Mme Améyo Toynike, sage-femme d’Etat, est d’éviter, dans les mêmes conditions, un autre décès. « Si dans une structure de santé, une femme décède par défaut d’un médicament, après l’audit, on doit mettre en place ce médicament et veiller à ce que ce médicament ne soit plus jamais en rupture », explique-t-elle. Par ailleurs, si une femme ou un nouveau-né décède par manque de matériel, la ventouse par exemple, après l’audit du décès, on doit faire tout pour le disponibiliser en permanence. En réalité, précise, pour sa part, Dr Bingo M’Bortche, président de la Société des gynécologues-obstétriciens, l’audit ne vise pas à sanctionner quelqu’un. « C’est pour situer le niveau de responsabilité lié à ce décès et prendre des mesures propices pour que ça ne survienne plus. C’est pourquoi devant tout décès, il faut toujours faire ces audits. Normalement, on ne meurt pas lorsqu’on vient pour faire un accouchement. L’enfant ne doit pas mourir non plus en venant en vie », affirme-t-il.

Dr Bingo M’Bortche, Gynécologue-obstétricien

Selon l’OMS, « chaque décès examiné a des choses à nous apprendre sur ce qui aurait pu être fait différemment au bénéfice de la femme et de son nourrisson ». Or, force est de constater que l’exercice n’est pas souvent respecté dans les centres de santé comme en 2021 où le district sanitaire Golfe (Lomé et ses environs) a enregistré 0% d’audit. La réticence, explique-t-on, est liée à la peur chez certains personnels de se voir accusés. Pour cela, ils ne participent pas à la réussite de l’audit et des fois même, ne font pas de déclaration. Toutefois, en 2022, dans le Golfe, l’hôpital de Bè a été un bon élève. « Sur les 19 décès maternels enregistrés, on a eu à faire jusqu’à 14 audits. C’est vraiment très salutaire en ce sens que de ces audits sortiront des mesures qui vont être prises pour vraiment éviter beaucoup de décès qui pourraient survenir », a apprécié le Chef section Etudes, programmation et planification à la Direction préfectorale santé de Golfe, Irénée Bassotom Lakougnon.

Des stratégies pour remonter la pente

Plusieurs stratégies sont mises en place par le gouvernement togolais avec l’appui de ses partenaires pour aider à l’amélioration de la santé maternelle et néonatale dans le pays. On peut citer, entre autres, la stratégie de subvention de la césarienne, la mise en place du programme Wezou, le repositionnement de la planification familiale et la distribution à base communautaire. En 2010, le pays a lancé la Campagne pour l’Accélération de la Réduction de la Mortalité Maternelle en Afrique (CARMMA). Une des résolutions majeures de cette campagne est la subvention de la césarienne qui au départ coûtait environ 100 000 FCFA, ramenée désormais à 10 000 FCFA. Une mesure qui s’est vite traduite par l’augmentation du nombre de césariennes et par conséquent, de vies sauvées. Selon une source proche du ministère de la santé, de 8 192 cas de césariennes en 2010, le nombre est passé à 12 475 en 2012, soit une augmentation de 52% en deux ans. Une amélioration qui se poursuit. L’une des dernières stratégies en date et qui séduit la population est le programme Wezou lancé en août 2021 pour réduire les morbidités et les mortalités maternelles et néonatales. 04 mois après son lancement, 70 000 femmes ont bénéficié des prestations de ce mécanisme.

En effet, Wezou (souffle de vie en Kabyè, une langue locale), vise à augmenter l’accès aux soins de santé aux femmes avec la suppression de certains coûts pour de nombreux services de soins. De fait, il est initié pour rehausser le taux d’accouchement assisté dans les formations sanitaires et réduire les risques de complication lors des accouchements. Le Programme prend en charge deux forfaits. Le premier, lié à l’accouchement normal, prend en charge un plafond de 14.265 FCFA. Il couvre 04 consultations prénatales dont 4 tests urinaires, les frais de pharmacies et l’acte d’accouchement. Le deuxième, estimé à 53.900 FCFA couvre les grossesses qui aboutissent à une complication chirurgicale. De la confirmation de la grossesse jusqu’au 42ème jour après l’accouchement, « Wezou » prend en charge une partie des frais des soins. Ce sont les centres de santé publics et accrédités de premier niveau (unités de soins périphériques et hôpitaux de préfectures) qui sont concernés. Jusqu’à décembre 2021, un montant de 02 milliards de francs CFA a été investi par l’Etat, sur un budget prévisionnel de 03 milliards pour la première année de mise en œuvre.

Malgré ces stratégies, les taux de mortalités maternelle et néonatale, respectivement 401 pour 100 000 naissances et 27 pour 1000 naissances vivantes sont, selon le président de la Société togolaise des pédiatries, Professeur Nadiadjoa Kokou Douti, « très élevés » et loin de l’idéal proposé par les Objectifs du développement durable, notamment l’Objectif 3 qui les fixe respectivement à 70 pour 100 000 naissances vivantes et à 12 pour 1000 naissances vivantes au plus.

Améliorer les stratégies

Ces stratégies très appréciées par rapport à leur impact et les innovations qui les accompagnent sont insuffisantes sur deux aspects. Soit sur le plan couverture de la stratégie et également sur le plan paquet des services offerts par la stratégie. Pour garantir l’efficacité de la gratuité de la césarienne, selon Dr Bingo M’Bortche, il urge que cela soit accompagné de l’amélioration du plateau technique. A Lomé, on signale à ce jour environ 5 blocs opératoires : Lomé commune (mis en pause en période de Covid-19), l’hôpital de Bè, le CHU SO et le CHU campus et récemment l’hôpital de Bè-Kopta. C’est très peu de blocs, constate le gynécologue-obstétricien, pour toute la population de Lomé (2, 188 millions (RGPH5)) alors qu’il y a des grands centres comme Baguida, Agoè-cacavéli où on pouvait avoir des blocs opératoires.  Même son de cloche chez le docteur Gilbert S. Tsolenyanu, Secrétaire général du Syndicat des praticiens hospitaliers du Togo (SYNPHOT). « Vous avez un hôpital de Vogan (environ 55 km nord-est de Lomé) en l’occurrence qui n’a qu’un seul bloc opératoire pour deux services de chirurgie gynéco-obstétrique et chirurgie générale. Lorsque dans ce cas de figure vous avez un malade qui est installé, qu’on doit opérer et au même moment une urgence aussi est arrivée, on fait comment ? On sort quel malade, on garde quel malade ? Vous opérez qui, vous laissez qui ? J’ai déjà fait sortir de bloc un malade que je voulais opérer parce qu’il y avait une urgence de césarienne et le jour -là, on n’avait pas encore piqué le malade. Il s’agissait d’une femme enceinte qui saignait. N’ayant pas encore anesthésié le premier patient, on l’a sorti du bloc pour admettre la dame et l’opérer. C’était au CHP de Kpalimé (environ 120 km nord-ouest de Lomé) au moment où il n’y avait qu’une seule salle d’opération jusqu’à ce qu’aujourd’hui le service de maternité ait son bloc », s’est rappelé le syndicaliste.

La deuxième chose à ajouter à cette stratégie pour qu’elle soit vraiment efficace, c’est le personnel qui doit opérer. Au Togo, même si des efforts sont faits ces dernières années en termes de recrutement du personnel de santé, il y a un manque qui est observé notamment en ce qui concerne certaines spécialités comme la gynécologie-obstétrique. Au niveau du pays, depuis 2000, la formation des spécialistes en gynéco-obstétrique a commencé puisque la première promotion sortait en 2004. A ce jour, le pays enregistre 150 formés. Toutefois, seulement une trentaine exercent dans le public, moins d’un tiers. « Il y a un problème. Les gynécologues sont plus dans le privé. Il revient au ministère de la santé de se poser la question et de trouver des solutions », se désole Dr Gilbert S. Tsolenyanu. Pour Dr Diallo Fatoumata Binta Tidiane, représentante résidente de l’OMS au Togo, un système de santé ne peut exister qu’à travers les ressources humaines. « Vous pouvez mettre toute sorte de paquets, mettre toute sorte de matériels sophistiqués mais s’il n’y a pas cet individu qui soit capable de  le comprendre  et de l’activer et de l’utiliser pour le bien-être et pour faire un diagnostic et ensuite adapter un bon traitement, nous allons droit vers le mur », a-t-elle indiqué le 24 juillet 2023 à Lomé lors d’une rencontre  régionale de renforcement des capacités de la mise en œuvre des Comptes Nationaux des Personnels de Santé et la revue de la qualité des données relatives aux personnels de santé. 

En effet, dans le monde médical, la gynécologie-obstétrique est cette spécialité qui s’occupe de la femme dans sa globalité, pendant la grossesse et en dehors de la grossesse. « C’est pourquoi d’ailleurs la question de mortalité maternelle, mortalité néonatale incombe à cette spécialité car l’objectif  du gynécologue obstétricien c’est d’assurer une bonne santé de la femme pour que lorsqu’elle tombe enceinte, elle puisse avoir  un enfant, accoucher correctement sans complication ou du moins, que  tout soit sous contrôle; également pour que la femme présentant une pathologie ait satisfaction.  », a expliqué Dr Bingo M’Bortche, président de la Société des gynécologues-obstétriciens au Togo. Ainsi, le besoin de gynécologues-obstétriciens avec des équipements adéquats disponibles reste un défi à relever.

Quant au programme Wezou qui est récent et très intéressant, il est proposé d’améliorer la stratégie en augmentant le paquet de soins pour une prise en charge holistique de la femme enceinte. C’est l’exemple, entre autres, de l’hémorragie du post-partum et des cas de grossesses extra-utérines qui constituent une urgence et nécessitent normalement une prise en charge du fait que ce sont des complications qui tuent la femme enceinte. Aujourd’hui, informe le directeur adjoint de l’Ecole nationale de formation des sage-femmes de Lomé, la première cause de décès maternel, c’est l’hémorragie du post-partum immédiat donc il serait quand-même intéressant que le programme puisse mettre assez de fonds à disposition pour ces prises en charge. « Quand tu amènes ton malade pour l’hémorragie, si on suppose que Wezou prend 20 000 FCFA seulement alors que la prise en charge, c’est 100 000 FCFA, tu trouveras où les 80 000FCFA pour la prise en charge ? Ce qui fait que ça devient un peu compliqué. Il faut que ça ne soit plus qu’un accompagnement mais une prise en charge de la femme enceinte », a proposé Dr M’Bortche.

Le manque de sang, un autre problème à solutionner

L’un des grands problèmes auquel est confronté également le système de santé au Togo, est la disponibilité des produits sanguins qui constitue un point à améliorer. Le père du petit Yao cité plus haut en a payé le lourd prix. C’est vrai qu’il y a pénurie de sang, mais il faut qu’il y ait au moins un petit stock de sécurité pour sauver ne serait-ce que les cas urgents. « Quand j’étais allé au Centre national de transfusion sanguine (CNTS) vers minuit, on me faisait savoir qu’il n’y avait pas de sang puisque le groupe sanguin de Madame, c’est O+. J’avais demandé de donner mon sang puisque nous sommes du même groupe sanguin mais ils ont refusé. C’est l’assistant qui était aux côtés du chirurgien au CHU SO qui m’avait pris dans sa voiture et m’a conduit à la clinique Saint Joseph où on a trouvé une poche de sang. Quand on est arrivé, on a fait la transfusion et on espérait que ça puisse la garder jusqu’au petit matin mais malheureusement entre 4h30 et 5 heures, Madame est décédée », raconte tout triste, le jeune papa.

En 2022, 21,59% de besoins non satisfaits des concentrées de globules rouges sont enregistrés à Lomé et ses environs.  Un réel problème qui perdure malgré la proximité ou l’existence du Centre national de transfusion sanguine CNTS dans la capitale. « Nous sommes tous interpellés non seulement les prestataires mais la population elle-même aussi parce que nous tous en sommes bénéficiaires. Dire que quelqu’un est en train de se décompenser par rapport à l’anémie et on n’arrive pas à trouver du sang, c’est la mort qui lui est garantie », prévient Irénée Bassotom Lakougnon qui invite les citoyens à participer aux opérations de don de sang pour sauver des vies.

Initier les sages-femmes à l’échographie de premier niveau

Par manque de moyen et du fait de la distance à parcourir pour aller faire l’échographie surtout dans les villages de l’intérieur du pays, certaines femmes enceintes négligent les examens de l’échographie et en payent le prix fort à la phase terminale de leur grossesse.  Pour améliorer la situation, l’ONG américaine Santé Intégrée qui intervient au Togo dans la région de la Kara (environ 400 Km nord de Lomé), a initié une formation à l’endroit des sages-femmes sur l’échographie de 1er niveau. Après la formation organisée en février 2022 en collaboration avec le ministère de la santé, les sages-femmes se montrent aguerries et promettent de renverser la tendance ; des examens peuvent se faire sur place au grand bonheur des patientes. D’ailleurs, le projet les a dotées en matériel pour le faire. « Nous ne pouvons pas faire tout ce qu’il faut mais le minimum. On pourra détecter quand même le nombre de fœtus dans l’utérus, la présentation ; avec la biométrie du bassin, voir si le fœtus peut être accouché par voie basse ou pas, et cela nous permet aussi de voir certaines pathologies associées à la grossesse. Nous avons appris à détecter les positions du placenta, la position du fœtus.  A partir de cette formation, nous pourrons au moins détecter plus vite certaines anomalies et les référer tôt pour une meilleure prise en charge », confie, à la fin de la formation, Bayamina B. Adjo, sage-femme au Centre hospitalier préfectoral (CHP) de Bafilo (environ 357 km Nord de Lomé). Selon Gbéléou Sesso, directeur pays de Santé Intégrée, l’échographie a été toujours vue comme une offre, un service au niveau de l’hôpital. « Là, on rapproche les services d’échographie de la population. C’est pour cela que ce sont des services d’échographie au niveau 1 ; ce n’est pas quelque chose dont on a l’habitude dans le pays », a-t-il souligné. Hormis ce renforcement des capacités, Santé intégrée assure gratuitement la liaison des USP et des Centres hospitaliers de niveau supérieur avec des ambulances dans la région. « Grâce à Santé Intégrée, notre USP est dotée d’une ambulance tricycle. Je me rappelle quand j’étais au lycée, ma grande sœur était gravement malade parce qu’elle allait accoucher. Arrivé en ville, j’ai pu trouver une voiture mais au retour dans notre village, ma grande sœur est morte. Aujourd’hui, on n’a plus ce problème. Des petits hameaux, on transporte les femmes pour les USP. Quand on arrive dans les USP et que ça ne va pas, directement on les réfère vers les hôpitaux. Et c’est grâce à cette ambulance de l’Ong Santé intégrée. Ça profite beaucoup à la communauté », témoigne le chef canton de Djamdè, Adom Assima.

De la responsabilité des familles

Une grossesse a besoin d’un véritable accompagnement et les familles doivent se préparer en conséquence. De fait, lorsqu’une femme tombe enceinte, il est important d’aller régulièrement aux rendez-vous de consultations prénatales. Ceci, dans une formation sanitaire avec des prestataires qualifiés, comme un centre agréé, pour bénéficier des services de qualité. C’est la première des choses. « Il y a beaucoup de ces cabinets, ces maisons d’accouchement où il n’y a pas de prestataires qualifiés », prévient le président de la Société des gynécologues-obstétriciens du Togo, Dr Bingo M’Bortche. La deuxième, est de suivre scrupuleusement les consignes données par les prestataires qualifiés. La troisième, est de se préparer financièrement pour affronter les dépenses liées à l’accouchement. « On ne sait jamais. Tout ce qui peut paraître banal, qui peut se passer sans problème, peut se compliquer ; donc il faut que la famille soit prête à payer les frais liés à la complication de l’accouchement en attendant que le gouvernement rende peut-être totalement gratuit l’accouchement », conseille le médecin.

En somme, les mortalités maternelles et néonatales sont toujours légion même si de nombreuses avancées sont constatées en termes de stratégies et de programmes. Le gouvernement, la société civile, les partenaires et la communauté ont tous, un rôle important à jouer et à continuer de jouer pour l’atteinte des Objectifs du développement durable à l’horizon 2030 et de ceux de la Feuille de route gouvernementale (2020-2025) notamment en son axe 1 « Renforcer l’inclusion et l’harmonie sociales et garantir la paix ». Ce dernier a comme ambitions, entre autres, d’offrir une identité et garantir la couverture santé et l’accès aux services de base à tous ainsi que d’assurer une couverture Santé Universelle.

Par ailleurs, les contraceptifs aussi sauvent des vies. Selon l’UNFPA, « Si l’écart entre la demande et l’offre de planification familiale était comblé, le nombre de femmes qui meurent durant la grossesse ou l’accouchement serait réduit d’environ un tiers ». Au Togo, la prévalence contraceptive des méthodes modernes est de 24% et les besoins non satisfaits sont de 34%. Même si l’Etat et ses partenaires subventionnent fortement l’achat des produits contraceptifs, les rendre gratuits serait un atout pour la réduction des mortalités maternelles et infantiles. « Quand on dit que c’est gratuit, on a une plus forte adhésion. C’est toute une affluence et cela a vraiment amélioré nos indicateurs (55% en 2022 contre 31 % en 2021) par rapport à la couverture en planification familiale. », a commenté Irénée Bassotom Lakougnon, Chef session Etudes, programmation et planification à la Direction préfectorale de la santé Golfe.

 Les avantages de la planification familiale

En effet, le programme de Planification familiale vise à réduire la proportion des grossesses non planifiées, tardives, rapprochées, trop nombreuses, précoces et partant, le taux de décès maternels et néonatals. La femme qui n’a pas encore l’âge (moins de 18 ans) et qui tombe enceinte, selon le docteur Bingo M’Bortche, gynécologue-obstétricien, est sujette à « un accouchement dystocique ». Et le plus souvent lorsque la grossesse arrive dans ces genres de situations, on a tendance à aller accoucher dans un centre où il n’y a pas de personnel qualifié. « La conséquence, c’est soit une rupture utérine, soit une fistule obstétricale », prévient le médecin.

Les femmes en âge avancé (35 ans et plus) sont exposées à des pathologies, des maladies cardio-vasculaires comme l’hypertension, le diabète. « Une femme hypertendue qui contracte une grossesse, va présenter une complication, la pré-éclampsie surajoutée ; ces complications sont la deuxième cause des décès maternels. Ces femmes là aussi portent des fibromes qui constituent un facteur de risque de l’hémorragie du post-partum.  Cette dernière est la première cause de décès maternel », souligne Dr M’Bortche.

Par ailleurs, un autre objectif de la planification familiale est de réduire la proportion des femmes qui accouchent de plus de 4 enfants. « Quand la femme accouche plus de 4 fois, elle est à risque de présenter l’hémorragie de post-partum et peut en mourir. Une femme dans ce cas, est sujette à des complications liées à la grossesse, la pré-éclampsie par exemple », affirme le gynécologue. D’autre part, le programme de la PF vise également à contribuer à l’espacement des naissances. Normalement, lorsqu’une femme accouche, il faut deux ans avant de tomber à nouveau enceinte. Mais lorsqu’elle n’utilise pas de méthode contraceptive, elle peut tomber enceinte dans 6 mois, 9 mois. On parlera donc de grossesse rapprochée. Cette grossesse entraîne une double conséquence ; sur l’état de santé de la femme et sur celui de l’enfant à naître et de l’enfant qui est déjà grand.  Selon le président de la Société des gynécologues-obstétriciens du Togo, « l’enfant qui est déjà là ne pourra plus être nourri correctement quand il y a une nouvelle grossesse. Et la maman qui ne s’est pas encore remise de son ancien accouchement et qui tombe à nouveau enceinte va avoir des conséquences dues aux séquelles laissées par l’autre accouchement, en l’occurrence l’anémie et cette femme va développer certaines pathologies au cours de la nouvelle grossesse et peut en mourir ».

L’autre avantage de la PF, c’est que lorsqu’on utilise les méthodes contraceptives, on se trouve à l’abri des grossesses non planifiées. En cas de grossesses non prévues, le corollaire immédiat, c’est l’avortement qui n’est pas légalisé au Togo. Ce qui amène à penser à l’avortement clandestin. « Cela peut entraîner des décès et c’est pourquoi d’ailleurs les complications de l’avortement sont la troisième cause de décès maternels jusqu’à hauteur de 16% au Togo », explique le directeur adjoint de l’Ecole nationale de formation des sage-femmes de Lomé.

Au bout du compte, lorsque la contraception est correctement utilisée, elle permet de réduire le taux de décès maternels et néonatals. De fait, une des stratégies d’actualité est la PF dans le post-partum. « Après l’accouchement, une femme peut déjà adopter une méthode avant de rentrer à la maison pour éviter les occasions manquées. Parce que des fois, quand on donne des rendez-vous aux femmes, elles ne reviennent pas pour la contraception ; d’où la nécessité d’administrer la méthode tout juste après l’accouchement avant que la femme n’entre », conseille le responsable médical à l’Association togolaise pour le bien-être familial.

 Ecrit par Atha ASSAN et publié dans Focus Infos N°316