La pêche artisanale maritime est la plus importante en termes de production et d’effectif des acteurs. Sur le littoral, l’on dénombre 23 campements et environ 2 640 pêcheurs dans la filière. Selon les résultats de plusieurs études dont celle de la FAO publiée en 2020 sur l’Evaluation des pertes après capture dans les pêcheries maritimes artisanales du Togo, les acteurs directement impliqués dans la pêche maritime artisanale togolaise sont principalement de trois nationalités, notamment ghanéenne (66,3%), togolaise (29,9%) et béninoise ( 4%) qui sont moins représentés. Comment les Ghanéens parviennent-ils à dominer la pêche artisanale maritime au Togo ? Pourquoi les Togolais peinent à s’imposer dans ce secteur pourtant très lucratif ? Eléments de réponses.
L’art de la pêche est Ghanéen
La pêche artisanale maritime est un secteur porteur, aux nombreuses opportunités et un véritable bassin d’emplois. Mais il est entre les mains des Ghanéens qui y règnent en maîtres absolus.
« La pêche artisanale maritime est dominée par les Ghanéens. Sur cent pirogues de pêche, à peine 10% appartiennent aux Togolais », confirme Ernest, jeune pêcheur. Les raisons sont multiples. Cependant, plusieurs acteurs évoquent essentiellement des considérations culturelles, indiquant que les Ghanéens maitriseraient mieux l’art de la pêche que les nationaux.
« Ils sont doués pour manier les différentes techniques de pêche ; mieux que les Togolais. C’est souvent d’ailleurs eux qui initient nos frères » relève Da Mina, mareyeuse au port de pêche de Lomé. Au demeurant, c’est un art que les Ghanéens transmettraient de père en fils dès leur bas âge, de génération en génération. Au contraire des Togolais qui préfèreraient envoyer leurs enfants à l’école. « Observe bien les personnes assises dans les barques. Tu vois des mineurs d’à peine 10 ans, qui vont déjà en mer à cet âge. Dans deux à trois ans, ils seront aguerris aux techniques pour être des spécialistes de la pêche à l’âge adulte. C’est la culture des Ghanéens que nous n’adoptons pas chez nous. La priorité est à la scolarisation des enfants » détaille Assou alias Belove, soudeur d’arc et pêcheur togolais. De fait, ils en font leur activité professionnelle et leur principale source de revenus : «les Ghanéens sont des professionnels et ils vivent de la pêche prioritairement. C’est maintenant que des Togolais se font initier progressivement», ajoute ce pêcheur rencontré au port de pêche.
Ces explications sont confirmées par l’Enquête-cadre de la pêche artisanale maritime au Togo publiée en 2016. En effet, ses résultats indiquent qu’en général moins d’1 pêcheur sur 4 reste favorable à l’entrée de son enfant dans l’activité de pêche.
Polémique inutile?
Pour Dermane Adbou-Adam, secrétaire générale du Syndicat national des pêcheurs du Togo (SYNAPETO), la question de la domination des pêcheurs ghanéens est une polémique inutile. Il estime que ceux-ci, s’étant installés avec leurs familles au Togo depuis des décennies, ne devraient plus être considérés comme des étrangers. « Nous ne devrons plus considérer comme étrangères des personnes installées à Kodjoviakopé, Ablogamé, Kotokoukondji etc depuis des années, qui y ont fondé leurs familles. Elles sont devenues des Togolaises à part entière », soutient le syndicaliste qui affirme dès lors pour sa part, que 60% des pêcheurs sont Togolais.
Le Togo trop hospitalier ?
Certains acteurs considèrent que la forte présence des Ghanéens dans la filière est une conséquence de la culture d’hospitalité dont fait montre, parfois à son préjudice, le Togo. En effet, ils dénoncent le fait que la réciprocité n’est pas vraie pour les pêcheurs togolais : « le cas du Togo est atypique dans la sous-région. Les Togolais n’ont pas autant de latitude ni de facilité à accoster dans des ports de pêche de la sous-région » regrette l’un d’eux.
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« Tu ne peux pas aller au port de pêche du Ghana ou d’un autre pays comme le Sénégal ou encore à côté ici au Bénin et prétendre t’installer ou mener des activités dans leur port de pêche. Tu peux pêcher dans leurs eaux peut-être ; mais pas évident de pouvoir s’y arrêter », confirme Assou Alias Belove, du haut de ses 17 années d’expérience dans plusieurs compagnies de pêche espagnole, mauritanienne et sénégalaise.
Le Togo reste donc une exception sous-régionale où les activités de la pêche maritime sont aux mains des étrangers. Toutefois, le manque de mains d’œuvres locales qualifiées reste une des explications de la situation.
L’influence des mareyeuses togolaises et le coût des équipements.
La domination des Ghanéens serait aussi favorisée par les mareyeuses. Ce sont des femmes qui financent l’achat d’armatures de pêche dont elles confient l’exploitation aux pêcheurs ghanéens, considérées comme les meilleurs. « Les mareyeuses financent l’achat d’armatures de pêche de la plupart des pêcheurs ghanéens qui exercent ici au port de pêche de Lomé. Soit par prêt soit sur contrat. Ceci facilite l’installation de ces pêcheurs étrangers », révèle M. Adam Abdou-Derman.
« Les Ghanéens sont plus professionnels que nos frères togolais. Je préfère confier ma pirogue à ces derniers qu’aux frères qui n’ont pas encore la maitrise ou qui ne sont pas nombreux », explique une mareyeuse ayant requis l’anonymat.
Les mareyeuses constituent ainsi des partenaires stratégiques des pêcheurs ghanéens, mettant à leur disposition des moyens financiers pour investir dans l’acquisition des pirogues de pêches. Bien plus, elles deviennent de facto les acheteurs des produits de pêche de ces derniers.
Par ailleurs, le coût des équipements est plus compétitif au Ghana qu’au Togo ; ce qui favorise nos voisins de l’ouest.
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« Pour disposer d’une pirogue de pêche avec tous les accessoires, il faut investir au moins 5 millions, voire plus selon la capacité du moteur que vous voulez et des filets. Rien que le moteur à CFAO Motors par exemple vous coûtera environ 2,5 millions FCFA tandis qu’au Ghana vous pouvez trouver un moteur au prix de 1 million FCFA, parfois moins, et toute l’armature à moins de 2 millions FCFA. Les Ghanéens déjà sur ce point ont un avantage sur nous », explique notre expérimenté pêcheur, propriétaire de la pirogue baptisé «Remember love time ».
Réorganiser le secteur pour faciliter son essor
Pour permettre l’émergence d’une pêche bien togolaise, les acteurs en appellent à l’Etat. Ils sollicitent un soutien des pouvoirs publics qui peut prendre non seulement la forme de subventions et de facilitation d’accès au financement, mais aussi celle de formation en vue de renforcer leur technique de pêche et de disposer des pêcheurs qualifiés au plan national.