La classe politique salue la mémoire de l’un des pères de la démocratie togolaise

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Il aura été, sans conteste, l’un des artisans les plus rompus à la tâche dans la construction de la démocratie togolaise. Me Yawovi Madji Agboyibo, emporté le 30 mai dernier à Paris (France) par un cancer de la prostate qui le rongeait depuis longtemps, aura surtout été un homme de conviction. Sa simplicité et son accessibilité expliquent l’hommage unanime que lui rend la classe politique togolaise, indifféremment des bords politiques et des désaccords qu’il a pu connaître avec certains de ses acteurs.

Ils furent quelques-uns à prendre, simultanément ou successivement, le leadership de la lutte pour l’instauration de la démocratie et du pluralisme politique dans notre pays dans les années 90. Les classer selon un ordre de mérite serait hasardeux et sujet à polémiques, tant chacun à son niveau et selon sa position a été d’un concours important.

Cependant, s’il faut en désigner un et choisir la figure emblématique du combat pour une modernisation de notre régime politique, peu pourront disputer à Me Yawovi Agboyibo, le statut du père de la démocratie togolaise. A la tête du Front des Associations pour le Renouveau (FAR), il avait réussi à obtenir l’essentiel des acquis démocratiques d’aujourd’hui : libéralisation de l’espace public, multipartisme, élections pluralistes, liberté d’association, liberté d’expression et de la presse , amnistie et retour des exilés politiques, promotion et respect des droits de l’homme etc. Son atout : d’une part son audience auprès des couches populaires et, d’autre part, sa proximité avec Gnassingbé Eyadéma.

En effet, avocat réputé dans les années 80, il était notamment le conseil de plusieurs sociétés d’Etat, siégeait comme député indépendant au temps du parti unique le Rassemblement du Peuple Togolais ( RPT) et a dirigé le premier bureau de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) créée par le pouvoir en 1987.
De fait, il pouvait discuter avec l’ancien président qui lui faisait confiance. Le leitmotiv qui a fait le succès de son action et permis bon nombre de réformes politiques : pression de la rue couplée à la négociation.

A l’heure de la Conférence nationale souveraine, l’arrivée sur la scène politique de nouveaux acteurs avec un discours plus radical contre le régime, va changer la donne. L’ancien Premier ministre sera dès lors jugé trop modéré et accusé par moments par la frange la plus dure de l’opposition comme une béquille du pouvoir. Sa proximité avec Gnassingbé Eyadéma, considérée jusque-là comme un atout puisqu’elle permettait régulièrement de lever les tensions et de faire progresser sans trop de dégâts la cause démocratique, sera désormais vue comme un handicap.

Cela ne l’empêchera pas de sortir victorieuse avec sa formation le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) des premières élections législatives pluralistes en 1994, remportées avec 36 des 41 sièges en jeu. Une interprétation malicieuse de la Constitution par le Chef de l’Etat et un désaccord avec son allié de l’opposition , l’Union togolaise pour la démocratie ( UTD) d’Edem Kodjo, l’empêcheront de diriger la Primature.
Cependant, la poussée de l’Union des Forces de Changement (UFC) de Gilchrist Olympio lors de la présidentielle de 1998 et qui ne se démentira plus jusqu’à l’accord RPT-UFC de mai 2010, va définitivement lui faire perdre la place de N° 1 de l’opposition togolaise, que son bref passage à la Primature en 2006 à la tête du gouvernement d’union nationale mis en place après l’Accord Politique Global (APG) , ne lui a pas rendu. Toujours cité sur la « short list » de ceux qui auraient pu avoir un destin national , les évènements ne le lui auront pas favorisé. Pas plus que ses scores lors des présidentielles auxquelles il a participé. Ils n’ont jamais dépassé les 10% de voix : 9,6% en 1998, 5,20% en 2003, 3% en 2010.

Taches :

Malgré un parcours professionnel exemplaire et politique riche, l’ancien président du CAR aura tout de même fait des choix critiquables. Comme celui de ne pas assumer par moment l’identité et l’autonomie de son parti, par peur du jugement de l’opinion et des réseaux sociaux, ou encore de ceux qu’il appelait « les disciples du gourou ». Ses égarements au sein de la C14 dont il n’épousait visiblement pas les méthodes et dont le leader, Tikpi Atchadam l’horripilait à cause de l’illisibilité de sa ligne et de l’exploitation improductive qu’il faisait de sa popularité naissante, le conduiront au suivisme et à la discipline de groupe qui lui feront boycotter les législatives de 2018 ; décision qu’il regrettera trop tard.

Le choix d’être absent à la présidentielle de 2020, pourtant à deux tours, après l’avoir été à celle de 2015, se privant ainsi d’une forte opportunité d’expression politique et d’exposition médiatique, fut aussi une erreur.
Mais c’est surtout la séquence du come-back à la tête du parti, au prix d’un mélodrame et d’un déchirement fratricide presqu’en direct sur les médias, qui aura provoqué in fine le départ de plusieurs cadres du parti , dont les emblématiques Dodji Apévon, Gahoun Hégbor, James Amaglo, qui laissera des taches sur son parcours presque sans fautes.

Succession incertaine :

Il est bien évidemment très compliqué de trouver un successeur à une personnalité de la trempe de Me Yawovi Agboyibo, qui a dirigé sans partage son parti et surtout, n’a adoubé aucun dauphin de son vivant. L’absence des historiques du parti désormais dirigeants des Forces Démocratiques pour le Renouveau (FDR) offre de l’espace pour les ambitions. Un temps évoquée du vivant de son père, la piste Pascal Agboyibo, éminent avocat, semble fermée à court et moyen terme.
Le concerné ne semble pas intéressé par le marigot politique togolais, dont il dit que « la seule chose qu’on est sûr de prendre ce sont des coups ; et pas forcément venant du côté qu’on pense ». Pour avoir été très longtemps dans l’ombre tutélaire du « patriarche » et avoir fait preuve de fidélité à toute épreuve, y compris dans les moments de forte turbulence, Jean Kissi est légitime à postuler à la direction du parti.
Son militantisme et son expérience d’élu, ancien député et aujourd’hui conseiller municipal, seront sans aucun doute d’un atout certain à l’heure de la reconstruction, sans les bras protecteurs du président fondateur. Mais tout le monde le sait, les successions non organisées donnent toujours lieu à des affrontements d’ambitions.