Poulet de chair : Comment l’importation tue la production locale ?

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Les Togolais sont de grands consommateurs de poulets. Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et du Développement rural, ils en consomment environ 24 000 tonnes par an. De fait, l’élevage de ce volaille connaît un important essor dans le pays. Cependant, le Togo reste toujours dépendant des importations de poulets et de ses produits dérivés, en provenance essentiellement d’Europe et des Etats-Unis. Ce qui crée un déséquilibre dans la filière avicole et ralentit l’épanouissement des entreprises locales d’élevage spécialisées dans la production et la transformation des produits carnés, à rebours de la promotion des chaînes de valeurs et de la consommation locales prônée par le gouvernement.

Les produits carnés commercialisés au Togo, notamment le poulet entier ou morcelé, ses sous-produits (gésier, pattes, ailes, dos) et la saucisse sont majoritairement des produits d’importation. Les importateurs, une vingtaine agréée, s’approvisionnent depuis principalement l’Europe et les Etats-Unis pour un montant par exemple, en ce qui concerne ce dernier, de 23,9 milliards FCFA au premier semestre 2019 selon le Rapport économique financier et social de l’année 2019 au Togo.
Les produits arrivent par voie maritime dans des conteneurs, en moyenne 60 par mois, et déchargés au Port autonome de Lomé. La commercialisation se fait par les grossistes, les semi-grossistes et les détaillants.

La “petite” production locale

Face aux produits importés, la production locale cherche sa place. En 10 ans, l’effectif de la volaille a connu une hausse exponentielle d’environ 200% , passant de 8 millions de têtes à plus de 26 millions selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et du Développement rural.
Dans un dossier très bien documenté publié par l’Organisation pour l’alimentation et le développement local (OADEL) fin 2021, on note que la filière avicole draine avec elle une panoplie d’acteurs directement ou indirectement liés. Depuis l’œuf à féconder – jusqu’au poulet à table, plusieurs maillons se succèdent transitant parfois par des services connexes.

La production de poulet est menée dans les ménages ruraux surtout comme activité secondaire et dans les fermes dans le cadre de l’élevage commercial voire industriel.
Pour le premier qui occupe la grande partie des éleveurs, les volailles sont élevées dans la cour et dans les champs avec des poulaillers traditionnels quelquefois améliorés, une alimentation et un suivi vétérinaire aléatoire pour la plupart.

L’élevage commercial occupant moins d’éleveurs est plus moderne avec une alimentation et une prophylaxie de normes. On y trouve des poulaillers améliorés avec de différentes sections. Le cycle de production passe souvent par un approvisionnement en poussins ou une incubation sur place des œufs selon la destination des produits d’élevage.

Les produits issus de l’élevage de poulets au Togo sont entre autres les poules et les coqs, les œufs et les fientes. La transformation de poulets se fait à l’échelle industrielle et par de petites unités de transformation. Pour les premiers, ce sont de grands abattoirs qui sont mis en place avec un réseau de producteurs pour assurer la disponibilité du poulet.

Quant aux petites unités de transformation, elles sont parfois en pause et ne transforment pas une grande quantité de produits. A l’issue de la transformation, les produits sont entre autres, le poulet en entier, ou morcelé, les sous-produits de poulet (gésier, pattes, ailes) et la saucisse.

La guerre des prix

Selon plusieurs distributeurs, le poulet importé et surgelé est plébiscité par les consommateurs et fait partie de leurs meilleures ventes. Ce que confirment les ménages. La raison : le prix, très bon marché. Il varie de 1300 à 1800 FCFA le kilogramme selon le quartier et la partie voulue (cuisse, ailes etc.), tandis que le poulet local se négocie parfois 50% plus cher, entre 2 500 et 3000 FCFA.
Si les importateurs évoquent l’argument du prix, la facilité à la cuisson ainsi que la disponibilité du produit, présent partout grâce à un maillage réussi du territoire, les producteurs locaux quant à eux mettent en avant la qualité nutritionnelle, une meilleure texture et in fine, le made in Togo, un appel au patriotisme dans les habitudes de consommation.

Violation de la règle des 10% obligatoires

Malgré l’essor de la production locale, elle reste insuffisante par rapport à la demande et peu segmentée par sa proposition ( manque de sous-produits du poulet :ailes, cuisses, gésiers etc..) selon certains acteurs. De fait, les importations ont encore de beaux jours devant elles.

Cependant, pour soutenir la filière et encourager les initiatives dans le secteur comme celle de DABA, entreprise agro-alimentaire spécialisée dans la production et la transformation des produits carnés dont le process va du pré à l’assiette, avec un système intégré qui va de l’élevage à l’abattage, à la découpe et à la transformation de la viande de volaille, bovin, ovin et porcin et doté d’un abattoir moderne et d’un atelier de transformation ; ou encore celle de Fleurs des Champs qui revendique la production de poulets 100% togolais et sans hormones, le gouvernement a pris le 18 mai 2020 une note conditionnant l’importation de poulets au Togo, après concertation de toutes les parties prenantes.

Ainsi, désormais, tout importateur devra s’approvisionner sur le marché local à hauteur de 10% de sa commande à l’étranger.
Cette mesure destinée à booster la production locale et saluée par les acteurs de la filière, n’a jamais vraiment reçu application.

Elle a été régulièrement violée par les importateurs qui ont continué pour beaucoup à s’approvisionner à hauteur de 100% à l’extérieur. Sans que les autorités ne tapent réellement du poing sur la table et sanctionnent.
Sur insistance des importateurs, de nouvelles négociations vont aboutir à une importante baisse du taux initialement fixé, qui passera ainsi de 10 à 4% d’approvisionnement local pour toute commande extérieure.

Lire aussi: Comment le Togo veut booster sa filière avicole ?

Ce nouvel accord n’est pas plus respecté que le précédent. De fait, les opérateurs locaux sont confrontés au ralentissement de leur vente. Daba par exemple qui livrait plus de 36000 poulets tous les deux mois se retrouve avec environ 2/3 d’invendus sur la même période.
C’est un stock en souffrance de 45 000 poulets que l’entreprise a aujourd’hui sous les bras. La chute des ventes a été encore plus forte dans d’autres sociétés où la baisse de distribution a atteint 2000 poulets contre 15000 en mensuel.

Pour sauver leurs produits du pourrissement et limiter les pertes, les producteurs ont opté pour la plupart pour la location de chambres froides pour une facture salée d’environ 1,5 millions FCFA

Simple malentendu

Face à l’indignation et au ras-le-bol des producteurs locaux qui dénoncent la mauvaise foi des importateurs, le ministère de l’Agriculture évoque « un simple malentendu ». « Cette affaire sera réglée très rapidement. Personne ne va violer les procédures », assure-t-on à la Direction de l’Elevage. Celle-ci affirme que les dispositions sont prises pour ne laisser passer aucun conteneur si l’importateur ne présente pas de reçu d’achats auprès d’un local.

Le ministère a par ailleurs ordonné l’achat des stocks en souffrance. Cette opération a commencé progressivement depuis le 30 octobre 2023, d’après les acteurs concernés.