Depuis le mois de juin, le Mali s’est enfoncé dans une crise politique dont personne ne peut prédire l’issue, même si l’appel à la désobéissance civile qui devrait reprendre ce lundi après la trêve de la Tabaski a été très peu suivi. A l’origine de ces mobilisations, des associations de la société civile et des partis politiques qui dénoncent la mauvaise gouvernance. Ils appellent à l’avènement d’une nouvelle République, qui passerait selon eux, par la démission de toutes les institutions de l’état : l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
De fait, après plusieurs séquences de tensions, marquées par l’atteinte aux biens et aux personnes avec des blessés et des morts, la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est saisie du dossier malien. A tort, à en croire les critiques qui ont alors commencé à pleuvoir sur l’institution.
Pourtant, 45 ans après sa création, la CEDEAO a acquis une longue expérience en résolution de crise dans la sous-région, même si ses interventions ne furent pas toutes heureuses. En effet, créée pour favoriser l’intégration économique en Afrique de l’Ouest et promouvoir les échanges entre ses pays membres, la mission originelle de la CEDEAO a bel et bien changé. Médiation, diplomatie préventive, force d’interposition…
L’organisation régionale est désormais de chaque coup d’État, crise postélectorale, guerre civile et toute situation qui menacerait la sécurité des États ouest-africains. Pour ce faire, elle s’est dotée depuis la fin des années 90 du Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, complété par le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance qui a établi un lien explicite entre l’objectif de prévention et de résolution des conflits et la volonté d’ériger des principes politiques forts comme l’opposition de la communauté à toute accession au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels et la possibilité d’intervenir dans un Etat membre en cas de violations graves et massives des droits de l’Homme.
Au demeurant, les tensions surviennent dans un contexte particulier. Hier encore, l’armée malienne subissait de nouvelles pertes avec 5 morts et 5 blessés dans le centre , rappelant que le pays est en guerre et en proie aux velléités de groupes terroristes et djihadistes, qui n’épargnent aucun pays. C’est donc à juste titre et forte de sa responsabilité que la CEDEAO s’est saisie du dossier pour proposer des solutions.
Personne ne saurait nier l’état de décadence de ce pays, qui souffre de difficultés économiques et sociales, où gangrène la corruption mais surtout où l’Etat est très faible s’il existe. Le malaise social, la baisse du pouvoir d’achat, la crise de confiance entre gouvernants et citoyens, la corruption des élites, la dénonciation des inégalités sociales etc. sont des cris de cœur, légitimes et compréhensibles, qu’on peut entendre de Bamako à Lomé, de Paris à Rome , en passant par Beyrouth, Varsovie ou encore Tel-Aviv etc.
Il est donc d’une certaine naïveté de croire, ne serait-ce qu’une seule minute, que face à cette situation, des Chefs d’Etat pourraient se réunir pour soutenir l’appel à la démission d’un des leurs, démocratiquement élu. C’est un coup de pouce auquel les contempteurs de la CEDEAO ont eu tort de croire. Au surplus, la politique est un jeu de rapport de force. Il appartient aux Maliens, si telle est l’aspiration profonde de la majorité d’entre eux, de l’établir pour renverser leurs institutions, en mettant l’organisation devant le fait accompli. D’ici là, elle a raison d’en faire une ligne rouge.