Coup de théâtre à la 32è Chambre correctionnelle de Paris ce 26 février. En s’y rendant pour voir homologuer l’accord conclu avec le chef du Parquet national financier ( PNF) Jean-François Bonhert dans le cadre de la procédure de « plaider-coupable » pour des accusations de « corruption d’agent public étranger, abus de confiance et complicité d’abus de confiance », Vincent Bolloré et ses avocats, ténors du barreau de la capitale française, Hervé Temine et Olivier Baratelli ne pouvaient guère imaginer que ce qui devrait constituer une simple formalité, allait devenir un épisode de plus dans le feuilleton judiciaire commencé en novembre 2013. Avec le refus d’homologation de l’accord, la juge Isabelle Prévost-Deprez ouvre une nouvelle page de ce dossier. En attendant qu’un magistrat décide des suites à y donner, FOCUS INFOS revient sur les grandes séquences d’une affaire qui interroge de plus en plus sur ses dessous.
Come back. L’affaire remonte à novembre 2013 avec l’ouverture d’une information judiciaire par le PNF portant sur des soupçons de « corruption d’agent public étranger. » Elle concernait au départ le groupe PEFACO, spécialisé dans l’hôtellerie et les jeux. C’est en enquêtant sur les relations de son président Francis Perez avec Jean-Philippe Dorent cadre dirigeant de Havas, que les policiers ont été amenés à se pencher sur les activités au Togo et en Guinée du groupe français Bolloré.
En avril 2016, les enquêteurs de l’Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales (OCLCLIFF) en France, perquisitionnent le siège du groupe Bolloré Africa Logistics situé à Puteaux dans les Hauts de Seine en région parisienne.
Ils ont visité les bureaux du milliardaire français -absent lors de l’opération-, celui du directeur général et du directeur juridique. Le 26 avril 2018, Vincent Bolloré est gardé -à-vue et mis en examen tout comme son directeur général Gilles Alix, pour « corruption d’agent public étranger, abus de confiance et complicité d’abus de confiance ».
Jean-Philippe Dorent, responsable du pôle international d’Havas, filiale du groupe, est lui poursuivi pour «abus de confiance» et «faux et usage de faux» mais échappe aux poursuites pour «corruption». L’entrepreneur Francis Perez, a, lui, été remis en liberté sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
Sous-sacturation :
Les juges Serge Tournaire et Aude Buresi, en charge du dossier sont connus pour avoir poursuivi Nicolas Sarkozy dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007. Selon l’acte d’accusation, ils soupçonnent le groupe Bolloré d’avoir utilisé les activités de conseil politique de Havas dans lequel Bolloré détient 60% des parts afin de décrocher la gestion des ports de Lomé et de Conakry ( Guinée), via une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV.
S’appuyant en particulier sur les documents retrouvés lors des perquisitions de 2016 au siège du groupe Bolloré, les magistrats soupçonnent Havas d’avoir sous-facturé ses services à Faure Gnassingbé au Togo et Alpha Condé en Guinée lors des élections présidentielles qu’ils ont remportées tous les deux en 2010, pour obtenir, en contrepartie, la gestion des concessions portuaires.
Une procédure et des questions :
Si les chefs d’accusation semblent clairs, ils n’évacuent pas la plupart des interrogations, surtout depuis que la magistrate Prévost-Deprez a refusé d’homologuer l’accord conclu par le PNF et les prévenus dans le cadre du plaider-coupable.
Il faut dire que c’est le PNF qui, après plusieurs années de procédure, début 2021 a suggéré que soit entrevue, une solution négociée. Pour rappel, le plaider-coupable désigne un mode de traitement des infractions qui consiste, au terme d’une procédure allégée, à proposer au prévenu une peine inférieure à celle encourue, en échange de la reconnaissance de sa culpabilité.
D’origine anglo-saxonne, cette procédure a été introduite en France sous le nom de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) par la loi du 9 mars 2004. Il ne s’agit nullement d’un aveu de culpabilité puisque le groupe Bolloré a toujours et continue toujours de contester vigoureusement les faits qui lui sont imputés au Togo ainsi que leurs qualifications.
C’est donc dans un souci de pragmatisme et d’efficacité et pour tourner une page judiciaire déjà trop longue en évitant que cette affaire ne se prolonge encore pendant de longues années au gré des procédures de première instance et d’appel, que le groupe a choisi d’entrevoir le processus de résolution globale et négociée proposé par le PNF, y estime-t-on.
Le groupe soutient que l’intégrité de l’entreprise n’a été prise à défaut à aucun moment, ni au Togo ni dans un aucun autre pays, grâce à la volonté constante et réaffirmée de ses anciens et actuels dirigeants de mettre en place et de veiller à l’application rigoureuse d’un dispositif éthique de Compliance. « La condamnation de la corruption et du trafic d’influence est inscrite dans la Charte éthique et le Code de Conduite du groupe » détaille-t-elle.
Au demeurant, il est assez curieux que la juge ait validé la CJIP mais ait refusé au même moment le « plaider coupable » de M. Bolloré et de ses collaborateurs. Il appartient dans ces conditions au Groupe BOLLORE de décider si l’accord de CJIP devient définitif.
Quant à la personnalité d’Isabelle Prévost-Desprez, elle mérite d’être évoquée. Si on peut aussi légitimement s’étonner qu’elle se retrouve à présider l’audience d’homologation, elle qui habituellement dirige la chambre destinée à connaître les affaires de terrorisme ou de banditisme , il faut aussi rappeler sa mise en examen en 2012. A la suite de la plainte de Liliane Bettencourt pour violation du secret de l´instruction, elle fut renvoyée en correctionnelle puis relaxée en 2015.
Isabelle Prévost-Desprez et Serge Tournaire sont accusés par les proches des deux hommes de faire visiblement de l’affaire Bolloré une aubaine pour poursuivre leur acharnement contre M. Sarkozy. Leur parti pris dans les dossiers concernant l’ancien président français dont M. Bolloré est proche, a été souvent dénoncé par les avocats de celui-ci et relevé par certains observateurs de la vie politique française.
Victime collatérale
Si Vincent Bolloré paie sa proximité avec Nicolas Sarkozy et plus globalement la droite française, le pouvoir togolais est sans doute victime collatérale d’un règlement de comptes politico-judiciaire franco-français. La parution du 25 février dernier de l’hebdomadaire français Le Point conforte cette thèse. En effet, nos confrères ont titré à leur Une : « Les coups tordus d’une justice très politique. Révélations / Méthodes douteuses et règlements de compte au Parquet national financier ».
Le dossier explique comment dans l’affaire Sarkozy par exemple, le PNF fait preuve de mauvaise foi, de vindicte , de piétinement de l’état de droit. « Les juges sont devenus des inquisiteurs. Certains traitent les autres de mous et de collusion avec l’ennemi » peut-on y lire.
« Faut-il tout voir avec des lunettes politiques » s’interrogent nos confrères. Selon le journal, les juges s’acharneraient contre la droite ; la plupart d’entre eux étant de gauche, voire gauchistes. « On ne peut pas laisser quelques magistrats se croire au-dessus de la loi » conclut l’éditorial introductif du dossier.
Dans ce dossier de 13 pages, un vice-procureur du PNF a signalé par écrit, des comportements incorrects de ses collègues notamment « une dérive déontologique dont certains aspects pourraient même recevoir une qualification pénale » . « Si l’on sait que Bolloré est un ami de Sarkozy, on comprend logiquement ce qui s’est passé le 26 février au Tribunal de Paris » glisse un commentateur.
Ridicule :
Quant au fond de l’accusation, personne ne peut croire sérieusement que 370.000€ puissent être la contrepartie de la cession de l’exploitation portuaire. En effet, le renouvellement de la concession de l’activité de manutention de conteneurs et de marchandises diverses au PAL, dont le premier contrat avec Bolloré remonte à 2001, donc 9 ans avec l’élection présidentielle a été faite selon les normes et procédures classiques dans le secteur et en contrepartie du paiement de redevances et de recettes calculées selon les dispositions contractuelles.
L’accusation d’atteinte à la souveraineté d’un Etat reste incompréhensible dans la mesure où l’Etat concerné n’a guère émis de plainte quelconque. Au surplus, aucun concurrent de la société n’a émis de réserves dans la procédure d’attribution de la concession.
Au surplus, le Gouvernement togolais a toujours fait part de sa disponibilité à fournir toute information ou quelque élément que ce soit, s’il était requis dans le cadre de la poursuite de la procédure ouverte par la justice française contre M. Vincent BOLLORE, considérant n’être en rien concerné par ce dossier.