Le difficile retour des Nana-Benz

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Véritable identité togolaise des années 1980 à 2000, les   Nana Benz, nom dont ont été affectueusement affublées  des vaillantes femmes commerçantes de pagnes, ont  quasiment disparu …avant de tenter une résurrection, tirée par de nouvelles initiatives en vogue pour redonner à Lomé sa place de capitale de pagnes. Mais non sans difficultés.

Dans les années 80, des femmes Togolaises ont révolutionné le commerce local et régional de pagne. De revendeuses de prêt-à-porter féminins, les Nana Benz ont fini par franchir le cap de« simple commerçantes » pour devenir des femmes d’affaires fortunées. La particularité de celles-ci, c’est d’avoir inventé le métier de grossiste (vente en gros des pagnes). En effet, les femmes togolaises importaient les Wax hollandais de différents motifs depuis les Pays-Bas.

« C’était avant les années d’indépendance. Une poignée de femmes, dont je faisais partie, s’était lancée dans le commerce des pagnes. En fait, nous les achetions aux grandes maisons de négoce, puis nous les revendions au marché », témoigne Da Dédé, ex-Nana-Benz. Elles étaient les principaux fournisseurs des commerçantes d’Afrique de l’Ouest, notamment les Ghanéennes, les Ivoiriennes et les Béninoises. Leur monopole sur ce commerce dans la sous-région, s’expliquait par leur dynamisme et leur engagement. « Parce que nous ne reculions pas devant le travail. Nous nous sommes faites à l’idée d’impacter notre génération et de faire honneur à la nation », révèle cette femme de 70 ans.

Un commerce ô combien rentable !

 Grâce au commerce de pagnes, les Nana-Benz se sont taillé une place  de choix dans la société togolaise où elles détenaient un poids socio-économique important. « Dans le temps, nous n’avions rien à envier aux cadres.  Nos  chiffres d’affaires avoisinaient   les millions par mois », raconte l’ex-Nana Benz. En raison de leur rang social, elles étaient très respectées : « à  l’époque nous étions très respectées dans le pays et symbolisions dans nos différentes familles biologiques,   des modèles de réussite», raconte Da Dédé.

Elles se comptaient parmi les rares femmes togolaises qui roulaient à bord des véhicules de marque allemande Mercedes-Benz. « Cette voiture coûtait à l’époque une fortune, mais nous, nous l’avions avec chauffeur en plus », se rappelle la Nana-Benz.

Une disparition progressive

 La réputation et les heures de gloire des Nana-Benz  sont progressivement rentrées dans l’histoire dès le début des années 2000. De nos jours, elles se comptent désormais  du bout des doigts. Leur disparition du monde des affaires togolais semble consommée. Au grand marché de Lomé (marché d’Adawlato) où elles faisaient la pluie et le beau temps, leurs boutiques sont quasi inexistantes. La majeure partie d’entre elles fait  rarement le déplacement de ce centre commercial. « Toute chose a une fin », commente Ayélé Akakpo, ex Nana-Benz, qui attribue leur disparition au temps. « Le temps passe et nous n’avons plus la même énergie nécessaire pour mener ce type d’activité », explique  cette dame quadragénaire.

Outre le temps, d’autres facteurs  les ont obligées à se retirer de ce secteur d’affaire. L’ex-Nana-Benz évoque le déclin du pagne dans les habitudes vestimentaires au début des années 2000. « A un moment donné, les Togolais ne s’intéressaient plus au pagne. De même, les étrangers des pays voisins ont progressivement cessé de venir », a-t-elle constaté.

La crise politique et économique des années 1990, qu’elles ont dû surmonter diversement, et  la dévaluation du franc CFA en 1994 sont aussi des causes lointaines de cette situation. « Depuis cette époque, nos chiffres d’affaire ont commencé à chuter », affirme Da Dédé.

Une nouvelle génération face aux difficultés

 Avant de quitter le secteur, de nombreuses Nana-Benz  ont, de gré ou de force face aux circonstances, passé le témoin à une nouvelle génération. C’est ainsi que  le secteur de la commercialisation des pagnes est désormais animé par des filles de Nana-Benz d’une part et de leurs servantes d’autre part, dont la tranche d’âge  est comprise entre  30 et 50 ans. Comme Vincentia Lawson et Prisca Ayivi. «Ce sont les encouragements et les motivations de ma mère qui m’ont poussée dans le commerce de pagne malgré mon niveau d’instruction», témoigne Vincentia Lawson, gérante  d’une boutique de vente de pagne héritée de sa mère.

Pour  sa part, Prisca  doit sa présence dans le secteur de pagne à sa patronne chez qui elle a fait ses premiers pas.  Elle  à qui sa patronne confiait la gestion de sa boutique, n’a pas sous-estimé l’importance des revenus de ce commerce. « Ma patronne me faisait confiance. J’étais son assistante immédiate. Les revenus journaliers importants qui étaient engrangés  de cette activité, étaient pour moi une source suffisante de motivation », confie la jeune dame.

Mais tout n’est plus aussi rose comme  par le passé. La  génération des « Nanettes », bien que faisant montre d’un sens de créativité, de persévérance dans la filière, peinent à faire progresser les chiffres d’affaires de leurs entreprises et à se tailler la même place dans la société que leurs aînées ou devancières. Elles sont  confrontées à des défis  sur le marché. Notamment ne la concurrences déloyale  due  à l’irruption des produits chinois sur le marché du textile. « Aujourd’hui, tout le monde se lance dans la vente de pagnes. Le comble, les nouvelles commerçantes  commandent des produits contrefaits depuis la Chine qu’elles viennent vendre à des prix drastiquement réduits», dénonce Vincentia Lawson.  Conséquence,  « les pagnes contrefaits sont écoulés plus  vite et mieux que les nôtres,  car aujourd’hui la population a du mal à identifier le vrai du faux. Ceux qui font la différence cherchent à les acheter au même prix», déplore la « nanette ».

Yesokaz pour revaloriser le pagne

 Face aux difficultés des « Nanettes » à s’imposer sur le marché textile local et sous régional, le cabinet Synergie lance l’initiative « Yesokaz » pour soutenir cette nouvelle génération de commerçantes de pagnes. Yesokaz est une plateforme qui a vocation à redorer le blason de la vente des pagnes. A travers cette initiative de vente en ligne, des pagnes sont proposés par des commerçants à la clientèle. « C’est une vitrine des boutiques de pagnes où les photos de différents motifs sont posées avec le prix et le contact des vendeurs », explique Ayao Philippe Awaga, directeur du cabinet Synergie.

L’utilisation de cette vitrine par les commerçantes est conditionnée par d’un forfait  de 10.000 francs CFA pour trois mois. Un travail est également en cours pour amener les actrices de ce secteur à privilégier l’utilisation de ce canal pour atteindre davantage  de clientèle notamment hors du Togo.