Des taxes trop élevées, des Togolais peu intéressés par la lecture… Clap de fin pour la librairie de référence « STAR »

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Les responsables de la librairie Star ont annoncé en fin d’année 2023, la fermeture définitive de leurs locaux après 27 ans d’existence. La nouvelle est mal accueillie chez les amoureux des livres. Les causes sont multiples et interpellent plus d’un.

« Nous déposons les armes. Venez profiter des derniers jours de la Star Librairie », avaient lancé les responsables de la « Star librairie » avant de fermer. Pour Ayayi T. Apedo-Amah, enseignant chercheur, « c’est un grand malheur » pour le pays.
« C’est comme un deuil pour les hommes et les femmes de culture dans ce pays parce que c’est là où nous nous procurons nos livres. La perte d’une librairie, c’est comme si un pan de la culture s’effaçait dans un pays. Si on laisse la culture disparaître comme cela, qu’allons-nous devenir ? », s’est-il interrogé.

Même son de cloche chez Gerry Taama, écrivain et député à l’Assemblée nationale. « Il y a un grand danger parce qu’après la Star, il ne restera que la librairie Bon pasteur. Alors qu’il faut reconnaître qu’en termes de richesse, Star était la librairie qui avait le plus grand catalogue. On ne peut pas être dans un pays comme le nôtre, dans une grande capitale de plus de 2 millions d’habitants sans une librairie de référence. Logiquement, l’Etat togolais aurait dû tout faire pour sauver cette librairie », a-t-il proposé.

Pour sa part, Akoeté Dansou, un passionné de la littérature, fait savoir qu’avec la Star librairie, l’on avait la possibilité de commander des livres qu’on ne trouvait pas sur le marché local. « Il suffisait de leur dire que vous aviez besoin d’un tel ouvrage et ils vous passaient la commande. Avec cette fermeture, nous allons souffrir », a-t-il commenté.

Chez Yasmine Issaka-Coubageat, co-fondatrice, directrice éditoriale de la maison d’édition ‘Graines de pensées’, spécialisée en littérature générale, ouvrages en langues nationales et livres pour la jeunesse, c’est une « énorme tristesse » qui gagne son cœur.

« Depuis une dizaine d’années que Graines de Pensées a été créée, on s’efforce de donner à nos compatriotes les ouvrages qui reflètent leurs inspirations, leur rêve, leurs réalités. Ces ouvrages sont bien évidemment dans les librairies. S’il n’y a plus de librairie, on ne sait pas comment rendre les livres accessibles. Déjà qu’il n’y a pas beaucoup de librairies », regrette-t-elle. Le sentiment est le même chez Renaud Dossavi, jeune écrivain. « Le fait qu’il n’y a pas de circuit de distribution, c’est un poids réel sur nous également en tant qu’auteurs parce que si tu n’as pas de circuit dédié, tu ne travailles que les livres chez toi et tu es distributeur toi-même. Ce qui n’est pas toujours évident », a-t-il relevé.

Ella Bonin, poète, est une cliente fidèle de Star librairie depuis son enfance. « Je garde des souvenirs de cette librairie depuis que j’étais toute petite. C’est une librairie qui a bercé mon enfance et mon adolescence. C’est une librairie qui a continué à me soutenir dans ma vie d’écrivaine puisque c’est la première librairie qui a reçu mes livres en dépôt à Lomé. Matériellement et humainement, si c’était possible, je l’aurais rachetée mais le travail de libraire ne s’improvise pas et il faut avoir les ressources et les compétences nécessaires pour faire le travail de libraire », a-t-elle regretté.

En effet, c’est grâce à une librairie qu’on peut trouver en un seul endroit, qu’il soit physique ou virtuel, les livres et pouvoir choisir en fonction de ses orientations de lecture. Les passionnés de la littérature et de la lecture en particulier font recours à des libraires pour trouver des livres qu’ils recherchent, puisque ces derniers maîtrisent bien ce qui se passe sur la scène culturelle et donnent des conseils. « On gagnerait à les soutenir, à faire en sorte que leur commerce ne ferme pas. Quand une librairie ferme, ce sont les ténèbres qui remportent une bataille », a indiqué Yamen Manai, écrivain. « Quand une librairie ferme définitivement ses portes, on ne tourne pas une page, c’est un livre qu’on déchire avant même de l’avoir lu », a commenté un autre passionné de littérature.

Les raisons de la fermeture

Plusieurs facteurs ont concouru à la disparition de la librairie Star : une baisse constante des ventes, exacerbée par des taxes élevées sur les livres vendus, la piraterie des livres, la non application du protocole de Florence sur la détaxe des livres, la migration des livres vers le numérique et surtout le désintérêt du public vis-à-vis de la lecture. Jointe par FOCUS INFOS, Rebecca Fadoul, directrice de la librairie Star regrette « le coût de l’importation du livre au Togo (5 fois la moyenne mondiale de taxes sur le livre ) et surtout la diminution drastique annuelle du nombre de visiteurs ».

« Comment les professeurs, les journalistes, les écrivains … Les hommes et femmes de lettres ne fréquentent pas la librairie plus régulièrement ? Ne serait-ce que par curiosité intellectuelle ? On critique la jeunesse qui ne lit pas. Mais les parents de cette jeunesse, combien de fois nous prenons un livre à la place d’un écran devant nos enfants ? Combien de fois fréquentons-nous des bars et restaurants ? Des bibliothèques et librairies ? Nous voulons que les enfants lisent, combien de fois nous leur montrons le bon exemple ? », s’est-elle interrogée.

Pour la directrice, la page de STAR est tournée définitivement.
Il s’agit maintenant de se concentrer plutôt pour sauver la « jeunesse sacrifiée ». « Le seul moyen est de sauver la lecture. La meilleure arme pour la vie, faire aimer la lecture à nos enfants», a conseillé Mme Fadoul.

Une fermeture après des batailles

Selon Vanessa N’Bouke, libraire, la directrice du lieu s’est vraiment battue avec l’espoir d’éviter la fermeture.
Mais en vain. L’une des stratégies phares utilisée par la Star librairie est l’organisation des Foires du Livre à prix Réduit, une opportunité unique en ce sens qu’elle permet de vulgariser la culture livresque au Togo et de rendre accessibles les livres à tous. Et pourtant !

« Je les ai vus se battre à lancer des foires du livre, où les livres étaient bradés sans public. J’ai vu Mme Fadoul se battre à inviter des universités à venir chercher gratuitement des magazines, sans succès. Quel est donc ce peuple qui tourne le dos aux livres, à la source inépuisable du savoir ? Même si ce phénomène est général en Afrique francophone, il est plus aigu au Togo. Je vends souvent plus mes livres au Bénin qu’au Togo. Après, ne nous étonnons pas que le niveau scolaire baisse globalement et que les débats soient si pauvres de profondeur sur les réseaux sociaux et les médias traditionnels », a déploré le député Gerry Taama, auteur du roman «Parcours de combattants » dans une entrevue avec le site d’informations IciLomé.

Créée en 1996 en bordure de mer dans la capitale togolaise, à la demande des NMPP (Les Nouvelles Messageries de la presse parisienne) pour la diffusion de la presse internationale au Togo, la Star Librairie, était avant tout une « histoire d’amour» avec les mots.
Elle proposait une large sélection de livres neufs et d’occasion pour tous les goûts et toutes les bourses.

Elle était également le représentant officiel de Xerox. Aussi, distribuait-elle la presse nationale depuis sa création, des magazines, de la bureautique et les consommables informatiques.