Le sable, qu’il soit marin, fluvial, lagunaire ou continental, constitue une ressource incontournable dans les travaux de construction d’édifices ou autres. Son importance amène des sociétés et des individus au quotidien, à aller l’extraire de différents sites avec divers moyens, sans se soucier des préjudices causés à l’environnement.
Au Togo, tous les types de sables utilisés pour les travaux de construction, proviennent des fleuves, des lagunes ou de la mer, et sont extraits généralement par des sociétés de dragage.
L’exploitation de sable y est réglementée. Classé au rang des minerais, le sable ne peut être exploité sans autorisation du ministère des Mines conformément aux dispositions de la loi n° 96-004 /PR portant Code minier de la République togolaise. Elle stipule en son article 16 que « le détenteur d’un permis de recherche a en priorité le droit d’obtenir un permis d’exploitation pour les substances minérales et dans le périmètre précisé dans son permis de recherche, pourvu qu’il soit en règle au regard des dispositions de la présente loi, qu’il remplisse les conditions administratives relatives à la demande d’un permis d’exploitation, qu’il démontre l’existence d’un gisement économiquement exploitable et que le programme de développement et d’exploitation du gisement soit jugé acceptable par les autorités compétentes ».
L’article 18 indique que « le permis d’exploitation confère à son titulaire le droit exclusif d’entreprendre des activités de prospection, de recherche et d’exploitation pour les substances minérales et dans le périmètre précisé par le permis. La superficie du périmètre est fonction du gisement ».
L’exploitation sous-entend toute activité de développement, de mise en exploitation, d’extraction, de détention, de traitement, de transport, d’exportation et de vente. Ainsi, toute personne physique ou morale de nationalité togolaise ou étrangère justifiant des capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien l’ensemble des activités minières ou de commercialisation, peut introduire la demande d’autorisation d’exploitation. « Cette disposition permet une étude préalable du site identifié, aux fins d’éviter des dommages environnementaux », précise Koffi Adadji Efanam, directeur général de l’Agence Nationale de Gestion de l’Environnement (ANGE), organe qui a en charge l’étude des sites exploitables.
Depuis quelques années, les sites de Dagé et Dévégo sont identifiés pour alimenter le Grand Lomé. Le sable y est exploité respectivement par la Société Africaine de Dragage (SAD) et Samiria. A l’intérieur du pays, d’autre carrières sont aussi opérationnelles pour répondre aux besoins de sable dans ces localités
Des sites sauvages
Cependant, les sites d’extraction sauvages pullulent dans le pays, notamment dans la région maritime, le long du littoral. L’activité s’opère dans la clandestinité. Cette exploitation illégale peut s’explique par l’explosion démographique ainsi que par l’urbanisation rapide, qui créent une forte demande en sable dans nos sociétés. « A Lomé, l’explosion démographique impose la construction de nouveaux habitats, et donc des besoins de sable », constate Ayeto Djamdo, expert environnementaliste.
Ce que confirme Kossigan, un exploitant illégal de sable : « la vente de sable n’est pas mon activité principale. C’est en raison des fortes demandes que je m’y suis lancé », justifie-t-il. En effet, résidant à Agovoudou, village situé sur le littoral, Kossiga, profite de cette position géographique, pour extraire le sable et le commercialiser.
Comme à Agovoudou, des habitants d’Agbavi, également sur le littoral font l’extraction et la commercialisation illégales du sable. Très organisés, ils mènent leurs activités clandestines la nuit pour échapper aux forces de l’ordre et de sécurité. Des sources nous ont confié qu’à l’instar des populations de ces localités, plusieurs groupes pratiquent l’extraction illégale du sable dans différentes zones de la région maritime, plus spécialement dans la préfecture des Lacs.
Il n’y a pas que des individus qui opèrent dans l’illégalité. Des sociétés aussi, pour échapper à l’obligation d’une autorisation préalable. « En raison du refus d’autorisation d’exploitation à certaines sociétés pour protéger l’environnement, d’autres préfèrent mener l’activité sans passer par les voies légales. Raison pour laquelle elles opèrent dans la clandestinité », explique le directeur de l’ANGE. « La nécessité de protéger les côtes contre l’érosion est devenue une préoccupation majeure. Mais l’activité perdure et est entrée dans la clandestinité en reprenant sa forme d’exploitation traditionnelle », renchérit l’expert environnementaliste.
De fait, le gouvernement a décidé en 2013 l’interdiction d’exploitation de sable sur le littoral par les arrêtés interministériels N° 031/MME/ MERF/2011 du 05 mai 2011 et N° 002/MME/MERF/2013 du 15 janvier 2013, pris par les ministères des Mines et de l’Energie, de l’Environnement et celui de la Protection civile. Est interdit sur tout le littoral du Togo, le prélèvement du sable et du gravier marins et assimilés.
Importants préjudices environnementaux
Les différentes carrières sauvages créées sur le littoral sont généralement exploitées sur une courte durée et ensuite abandonnées. « Dans les termes d’autorisation, il est prévu des plans de fermeture de carrière autorisée, vu que l’exploitation n’est pas éternelle » précise M. Adadji qui indique qu’il est difficile d’adapter ce plan de fermeture aux sites anarchiques. « Cette opération nécessite des investissements de taille », relève-t-il. Plus généralement, l’extraction de sable marin, qu’elle soit légale ou non, a d’énormes conséquences d’ordre environnemental et social.
Ainsi, l’exploitation du sable marin occasionne-t-elle la dégradation continue de la plage et l’aplanissement par endroit des pentes peut faciliter la remontée des eaux marines, et par conséquent, mettre des vies et des installations humaines en danger. « Ceci provoque l’élévation de la température des eaux pouvant occasionner des perturbations des
cycles reproductifs des ressources halieutiques, les espèces à amplitude écologique faible ne s’adapteront pas et disparaîtront (cas des pélagiques), la migration en profondeur ou vers des régions plus hospitalières. Ce qui occasionnera le recul des activités de pêches donc la baisse des revenus des pêcheurs et toutes les catégories socioprofessionnelles dans le secteur halieutique ». souligne Ayeto Djamdo. Cette activité occasionne également l’élévation du niveau de la mer accompagnée de l’augmentation des ouragans et de typhons qui renforcera plus tard les problèmes d’érosion côtière déjà connus et qui contribuent énormément au recul du trait de côte.
Au plan social, un important bouleversement socio-économique dont la pêche constitue le soubassement est constaté avec pour conséquence, la flambée du prix des poissons et le renforcement de la pauvreté. « Quant à l’érosion côtière, elle va engendrer la destruction des maisons, va obliger les populations à émigrer vers les zones protégées, ce qui s’accompagnerait de tensions sociales et de lutte pour l’acquisition des terres ». Les sites laissés à l’abandon provoquent pour leur part, la dégradation des sols cultivables et expose les riverains aux risques fréquents de noyade.
Le défi de la protection environnementale
Répondre à la forte demande en sable pour les travaux de construction constitue désormais un défi pour les autorités qui sont également dans l’obligation de la protection de l’environnement.
En effet, il est sans équivoque que les sites sauvages menacent l’environnement et le développement social par ailleurs, même si répondre à la forte demande en sable est une réalité. Ceci étant, la question relative à l’autorisation d’exploitation de carrière de sable a tout son mérite. Le directeur de l’ANGE estime à cet effet, « qu’il vaut mieux autoriser que d’interdire. Et mettre ainsi des mécanismes de suivi en vue de la protection de l’environnement ». Une position soutenue par Ayeto Djamdo : « créer des carrières légales avec toutes les mesures de précaution pour réduire les impacts et en même temps permettre aux gens de mener leurs activités ».
Outre ces mesures envisagées, la mise en place et l’opérationnalisation d’un comité de surveillance sont une nécessité. A ce sujet, le directeur de l’ANGE informe qu’une police verte est mise en place mais est en manque de moyens financiers nécessaires pour être opérationnel. L’ONG JVE pour sa part propose l’intensification de la sensibilisation des populations riveraines sur les dispositifs sécuritaires prévus par la loi pour leur protection. Elle les invite à dénoncer les contrevenants.
Les autorités communales ayant un rôle désormais dans l’attribution des autorisations, doivent prendre des mesures pour que les exploitations illicites cessent. A ce sujet, le Directeur de l’ANGE assure « qu’une séance de formation est prévue dans les jours à venir et permettra aux populations de disposer des outils nécessaires d’attribution des autorisations d’exploitation de sable ».
Esaïe EDOH